Salut les chéris ! Nouvel avis de tempête rédactionnelle ! Après avoir pété une durite la semaine dernière à l’annonce du blocage des locaux de Mains d’Oeuvres, nous remettons le couvert … avec la liquidation du pôle Culture de L’Express!
Nous apprenons la nouvelle en début de semaine par le hasard des réseaux sociaux (comme quoi ils peuvent quand même servir à quelque chose) au détour d’un post Facebook publié par une attachée de presse de notre réseau, qui rebondit sur une annonce du SDJ L’Express. Pris dans la tourmente d’une restructuration certes nécessaire (le mag va mal depuis une décennie et son rachat par Altice) mais cannibale, la direction s’apprête à flanquer à la porte une grande partie de la rédaction, soit une quarantaine de personnes à la louche, et parmi eux la majorité de ceux qui s’occupaient jusqu’alors de la culture (on passerait de 12 journalistes … à 3, cette bonne blague).
A la diète !!!!
Derrière cette décision pour le moins musclée, Alain Weill, actionnaire majoritaire de l’hebdo et proprio de BFM TV et RMC, donc un entrepreneur média bien décidé, semble-t-il à rebooster ce défaillant organe de presse … en le mettant à la diète (diète que les journalistes étaient prêt à subir … mais pas à ce point). Le tout en recentrant la ligne édito sur l’économie, l’international et la politique, à la manière, je cite d’ « un The Economist à la française ». Why not ? Sauf que la chose passe par la case dégraissage brutal. Et risque fort d’impacter l’objectif qualitatif visé initialement.
Car faire du qualitatif avec moitié moins de journalistes, ça relève d’une douce rêverie en mode licorne. Surtout quand on compte publier DEUX fois plus de contenus, et qu’on raye d’un trait les départements « Documentation » et « Investigation ».
Par ailleurs, en prenant ainsi le risque de brader les articles de fond pour produire de la brève, on joue la carte d’une exigence moindre, d’infos non vérifiées, bref plus vraiment de marge d’action pour enquêter convenablement, vérifier ses sources, prendre du recul, analyser enfin et accoucher d’articles porteurs et pertinents. Exit donc l’idée d’un « journal de qualité ».
C’est aussi jongler avec le feu d’une éventuelle (et très probable?) ingérence dans la ligne édito qui annulerait le désir d’indépendance du journal. Or il se trouve que Mister Weill n’a toujours pas paraphé l’accord d’indépendance éditoriale pourtant en vigueur depuis 2015.
Sentirait-on le vent tourner, alors que des postes seraient créés pour la version web de l’hebdo, dont on se doute qu’il faudra bourrer les colonnes avec du snack content afin de tenir le rythme effréné de publication imposé par l’infobésité Internet ?
« Hep Padmé, et la culture dans tout ça ? » Mais mes p’tits choux, c’est que la liquidation des rubriques « Musique », « Théâtre » et consort, condensées sous le patronyme « Idées » (la littérature serait à peu près épargnée), finalement englouties par l’économique, trahit la déperdition qui se profile. Et constitue un signal pas si faible que ça d’une crise plus profonde : le cloisonnement des savoirs, là où il faudrait promouvoir la transversalité et au pas de charge, Tudieu !!!
Brader la culture … et cloisonner les savoirs
Le message subliminal émis ici, c’est purement et simplement qu’économistes et politiques peuvent se passer de la culture. Que c’est un luxe fantaisiste, un penchant occasionnel, certainement pas une richesse à travailler au quotidien et avec attention. Un exemple déplorable pour les jeunes entrepreneurs et les étudiants à qui on serine pourtant qu’ils manquent de culture gé. Ah bah ouais, mais figurez-vous que ce n’est pas bankable, mes braves gens ! Et en plus, ça pourrait vous donner des idées, envie d’être créatifs, d’échapper aux doctrines en vigueur pour inventer de nouveaux modes de pensée ! Manquerait plus que ça !
Et puis y a déjà des médias spécialisés, donc fuck off, on ferme la rubrique « Culture » et autres fadaises artistiques et basta cosi ! Et donc on fout tout le monde dehors, on se recroqueville sur une pseudo position d’expert (on pourrait arguer ici aussi que la concurrence ne manque guère en la matière), et on bousille un espace de visibilité où les créateurs pouvaient éventuellement être mis en valeur, et Dieu sait s’ils en ont besoin. Les Médicis doivent se retourner en bloc dans leurs tombes, eux qui ont tissé le lien entre business et culture.
OK, il s’agit de sauver un grand nom de la presse hexagonale, enfanté par Jean-Jacques Servan-Schreiber et Françoise Giroud à l’aube des années 50 – pas dit qu’ils auraient apprécié ce qui se passe, ces deux-là. De le sauver alors qu’il plonge «avec 14 000 exemplaires vendus en kiosque, 136 000 abonnements papier et 23 000 abonnements numériques, le titre historique perd 10 millions d’euros par an aujourd’hui (pour un chiffre d’affaires de 40 millions d’euros)» explique Le Parisien en février 2019. En virant une partie de la team, pour faire entrer de nouvelles plumes, parachuter des rédacteurs à l’étranger , en portant «les idées modernistes, progressistes et environnementales » dixit toujours Le Parisien.
Et en bradant la rubrique « Culture », quelle trouvaille ! Laissant donc à l’abandon ou presque un secteur lourd de 44,5 milliards d’euros annuels (en 2016 dixit forumentreprendreculture.culture.gouv.fr) ainsi réduit au stade du simple produit. Exit par ailleurs la diversité de la pensée et l’ouverture d’esprit. La culture va progressivement devenir l’apanage de médias spécifiques de plus en plus rares … et de pure players dans notre genre. Un comble.
Que conclure sinon que :
nous soutenons de tout cœur ceux qui vont se retrouver sur le carreau … et qui ont décidé de ne pas se laisser bouffer tout cru, montant au créneau médiatique de la contestation
il faut arrêter de considérer la culture comme le parent pauvre des médias, un hochet dans les mains des financiers qui s’achètent ainsi une bonne conscience … avant de la brader pour faire des économies
vu la bordélisation toujours plus poussée du secteur culturel, nous n’avons pas fini de pousser des gueulantes, faudrait presque qu’on inaugure une rubrique pour ça
nous bénissons le jour où nous avons refusé notre éventuelle capitalisation
vive l’autofinancement !
Et plus si affinités