De prime abord, John Demjanjuk a tout du grand-père idéal, paisible retraité d’origine ukrainienne, ex ouvrier modèle, mari amoureux, veuf éploré, père attentif, ami fidèle … bref un américain lambda. Mais derrière les vers de ses lunettes, le regard fixe cache bien des secrets, un passé opaque, celui d’un criminel de guerre nazi. Un passé soigneusement occulté qui rattrape Ivan le Terrible en 1986.
Ivan le Terrible, ainsi baptisé par les prisonniers des camps de Sobibor et Treblinka. Une brute sans scrupule, d’un sadisme rare. Et qui pourrait très bien s’avérer être John Demjanjuk, si l’on en croit photos et documents d’identité. Arrestation, extradition en Israël, procès à spectacle, rebondissements à répétition, voici le thème de la série documentaire The Devil next door propulsée par Netflix. Avec une question directrice : comment faire justice après si longtemps, avec si peu de preuves viables ?
Car l’accusation se fonde sur des pièces administratives qui auraient pu être falsifiées, les témoignages de rescapés agés, dont certains ont des trous de mémoire, d’autres ont déjà effectué des récits contradictoires. Ivan le Terrible est-il toujours vivant ? N’a-t-il pas été tué durant la révolte des camps ? Etait-il blond ou brun ? Les failles apparaissent que la défense exploite habilement.
Et dans un climat explosif puisqu’il s’agit de juger un des acteurs de la Shoah sur le sol israélien. Colères, rage, vengeance … comment faire la part des choses sereinement dans cette ambiance passionnelle, avec ce procès surmédiatisé, spectaculaire et cathartique à la fois ? C’est la réflexion menée par l’avocat de la défense, Yoram Sheftel, qui s’attire ainsi les foudres de la population. Il n’en demeure pas moins que ses remarques font sens : difficile de condamner sur la base des preuves apportées.
Et tandis que chaque nouvel élément conteste le précédent, on ne peut que se tourner vers l’accusé et scruter son visage en quête d’un signe, d’une réaction qui trahirait la vérité. Un peu comme ceux qui observèrent Eischmann durant son procès, essayant de déceler dans ses yeux la moindre étincelle de compassion, une forme de culpabilité. En vain. Mais alors, comment faire pour coincer ces criminels sur la base de preuves fiables et incontestables ?
C’est toute la difficulté, soulignée par les producteurs/réalisateurs Yossi Bloch and Daniel Sivan. Qui du reste firent eux-même quelques écarts. Situant les camps où avait officié Ivan le Terrible sur une carte de la Pologne actuelle, avec des frontières ne correspondant pas à celles d’alors … et en se trompant sur la localisation. Ce qui engendra la colère du président polonais et une mise au point du Musée d’Auschwitz. Ces bourdes feront l’objet d’une correction, comme l’a annoncé Netflix.
Qui devrait faire un peu plus attention à l’exigence historique. Nulle trace dans la série du procès d’Eischmann, qui fut pourtant le premier à être télévisé à l’échelle internationale, et joua un rôle essentiel dans la prise de conscience généralisée de l’horreur des camps. Les réalisateurs préférèrent se concentrer sur le côté spectaculaire qu’il s dénoncent par ailleurs, croisant témoignages, images d’archives et films des interrogatoires pour restituer l’atmosphère électrique du jugement.
Un point sur la traque des nazis, la difficulté de les appréhender, aurait pourtant été nécessaire, pour mieux saisir les enjeux à l’œuvre. Inexacte sur certains points, la série demeure cependant intéressante car elle met en exergue le caractère complexe d’une condamnation après autant de temps et dans un cadre aussi chaotique, encore obscurci par les aléas de la Guerre froide. Ces cinq épisodes sont donc à voir comme un point de départ, une première approche du sujet, à compléter bien évidemment avec d’autres études, lectures et visionnages.
Et plus si affinités