Dans la famille cinématographique « Vroumvroum Pouetpouet », je demande Le Mans 66. Appuyé par le tandem Matt Damon/Christian Bale, le film de de James Mangold retrace comment Carroll Shelby et Ken Miles ont gagné cette course mythique pour le compte de Henry Ford II, tout cela au nez et à la barbe de Ferrari qui dominait jusqu’alors dans ce domaine.
L’esprit de L’Étoffe des héros
Interprétation virile, challenges, bagarres, ingénieurs passionnés vs commerciaux avides, dépassement de soi, ivresse des circuits, folie de la vitesse … l’esprit de L’Étoffe des héros n’est pas loin, ce qui n’est pas totalement usurpé puisque Shelby et Miles ont largement porté le rêve américain à la sauce Trente Glorieuses, entre belle bagnole et conquête technologique. Autant dire donc que Le Mans 66 va ravir les amateurs, avec à la clé plusieurs modèles historiques, Porsche Speedster, Ferrari, et bien sûr AC Shelby Cobra et Ford GT40, automobile emblématique qui fait du reste l’objet d’une vente orchestrée par Mecum Auctions, attisant ainsi la convoitise des collectionneurs qui devront débourser entre 275 000 et 325 000 dollars (c’est une estimation de base, le prix devrait grossir avec les enchères) pour acquérir ce bijou. Et il ne s’agit que d’une réplique, imaginez le prix d’une voiture d’origine.
Les vraies stars du film
En fait, les vraies stars du film, ce sont elles. Ce sont elles qui fascinent les fans, qui font grimper la côte du film, qui prennent de la valeur également en passant devant l’objectif. Pourquoi ? Car elles représentent un chapitre important dans l’histoire de Ford et de l’économie américaine. En racontant l’aventure des deux pilotes, Mangold retrace en fait un tournant majeur dans la stratégie marketing de la firme automobile. Vous voulez prendre un cours accéléré sur les enjeux vitaux du secteur dans les années 60 ? Vous regardez Le Mans 66 et vous allez tout comprendre : la concurrence italienne et européenne bien sûr, mais aussi et surtout les nouveaux insights qui animent une cible plus jeune, qui recherche la vitesse, la puissance, l’élégance … ce que Ford est infichu de proposer, malgré la Mustang, dévissant donc au niveau des ventes.
Changer l’image de la boite
D’où une remontée de bretelles en règle opérée par un Henry Ford II furibard, qui menace toute son équipe, mécanos compris, de prendre la porte si le chiffre d’affaire ne remonte pas rapido (une invention du scénar). D’où l’idée de noyauter les courses automobiles du Vieux Continent pour changer l’image de la boite, mettre en avant les capacités d’innovation d’une entreprise réputée ancestrale et neutraliser les rivaux italiens et anglais sur leur terrain. Le scénario signé par les frères Butterworth adapte le livre Go Like Hell: Ford, Ferrari, and Their Battle for Speed and Glory at Le Mans d’A. J. Baime. On est sur une base solide ; romancée, aménagée, l’intrigue ne cache guère les ressorts commerciaux à l’œuvre dans cette vaste opération où l’exploit sportif et technologique, indéniable, sert de plaquette de pub à une industrie qui veut se régénérer.
Make Ford great again
Encore et toujours. Car la problématique évoquée dans le film perdure : concurrence étrangère, mais aussi alternative de l’hybride et de l’électrique, question environnementale … Ford version 2019 ne se porte pas forcément bien, détricotant sa présence en Europe à grand coup de licenciements et de fermetures d’usines, privilégiant l’utilitaire au particulier. Bref il y a plus glorieux, surtout quand dans la même période, un certain Donald Trump conquiert la Maison Blanche en tonnant : « Make America great again ». Et Ford par la même occasion ? De là à se demander si Le Mans 66 n’a pas un petit côté film institutionnel, il n’y a qu’un pas. Ce ne serait pas la première fois qu’Hollywood roucoule avec les lobbies, dixit sa belle love story avec l’armée, dont nous avons traité dans un autre article (ça vaut aussi pour le tabac ou les armes). L’occasion fait le larron, le scénario également. Et vive le placement produit qui porte haut le blason de l’enseigne en mettant ces modèles mythiques en situation.
Branded entertainment
Difficile de ne pas évoquer ici la bonne vieille technique du branded entertainment, « contenu dérivé de l’industrie du divertissement dans lequel une marque est impliquée » merci e-marketing.fr. Procédé particulièrement efficace qu’un Edward Bernays a généré dans le sillage du mémorable et fondateur Propaganda. Je serais curieuse de savoir comment les studios de la 20th Century Fox et Ford ont dealé pour accoucher de ce film particulièrement positif en terme d’image de marque. Le titre anglais n’est-il pas Ford vs. Ferrari, ce qui est beaucoup plus direct et clair que le nom de baptême de l’adaptation française ? Ce qui ne gâche en rien la qualité du spectacle, et donne furieusement envie d’appuyer sur le champignon. C’est peut-être d’ailleurs le but ultime de ce récit tout en muscles, en V8 et en rock’n’roll (ah le subtil passage du rockabilly au garage rock avec le sacro-saint « Have love, will travel » de The Sonics, toute une époque) !
Attiser les envies d’achat
Nostalgie d’un temps révolu, où on pouvait tracer la route, polluer, bouffer de la merde, fumer, rouler des biceps … où un mec pouvait être un mec, merde !!!! Bullit, Le Mans … la silhouette de Steve McQueen, nonchalante et ironique … un levier parfait pour attiser les envies d’achat. Vous pensez que j’exagère ? Et Les Stagiaires, véritable ode à Google boostée par Vince Vaughn et Ower Wilson en clowns de service convertis aux joies du monstre des GAFA, quitte à légitimer un système de sélection d’une férocité incroyable sous couvert de comédie geek bon teint ? Un exemple parmi tant d’autres. Il existe des bouquins entiers sur le sujet, on trouve des articles en pagaille sur cette méthode de noyautage de la prod cinématographique ou télévisuelle. Que retenir de tout ça ? Ne plus visionner de films ? Ce serait dommage car Le Mans 66 est prenant et offre un excellent divertissement. Mais c’est bien de savoir ce qu’il y a en substance derrière. Un spectateur averti en vaut deux.
Et plus si affinités