Alors qu’on approche délicieusement d’un week-end bien mérité, le visionnage du documentaire Les nouveaux pauvres nous tombe dessus comme une pluie glacée. Sous-titrée « Quand travailler ne suffit plus », l’enquête menée par Karin de Miguel Wessendorf et Valentin Thurn nous promène au travers de l’Europe pour observer la précarisation du travail à l’œuvre et ses conséquences sociales et politiques. Pour le moins angoissantes comme il se doit.
Précarité, instabilité, insécurité
Car qui dit précarité dit instabilité et insécurité. Travail temporaire, CDD, intérim, uberisation, aujourd’hui la casse du code du travail a bien avancé, sapant l’accès à l’emploi. Partout en France, en Allemagne, en Angleterre, en Espagne … les retraités doivent prendre des jobs d’appoint pour survivre, les ouvriers comme les employés sont soumis à une pression constante tandis que leurs conditions de travail se dégradent, que la pénibilité explose, que les salaires stagnent. Quant aux jeunes, le fait de faire des études, d’être diplômés, ne leur garantit plus un poste fixe et rémunérateur … mais des années d’endettement.
Catastrophe généralisée
La faute aux immigrés qui volent le travail des bons européens de souche, européens qui se tournent de plus en plus vers l’extrême droite pour espérer solutionner la crise ? Erreur, car les populations issues de l’immigration sont elles aussi fragilisées, et tremblent pour leur futur. Il y a de quoi : entre des patrons qui refusent de payer pour chauffer des ateliers au point que les ouvriers doivent allumer des feux pour ne pas geler, d’autres qui se spécialisent dans le désossage sauvage d’usines en difficulté rachetées dans ce seul but et tant pis si on laisse les employés sur le carreau du jour au lendemain, chaque minute de cet exposé file carrément la nausée en dressant sous nos yeux le tableau d’une catastrophe généralisée, d’une injustice totale, révoltante.
Une colère immense
Difficile de ne pas se sentir concerné en voyant ces images, en entendant ces témoignages ; la peur du lendemain y est palpable … et une colère immense. Un ras-le-bol généralisé qui se traduit, outre le vote protestataire aux extrêmes, par une volonté d’en découdre pour protéger le peu de droits qui nous restent. Adhésion aux syndicats, création de coopératives ou de réseaux de solidarité, la contestation s’organise, et pas seulement en gilet jaune ou via un hypothétique revenu de base qui s’avère finalement décevant sur les zones où il fut testé. Reste à faire bouger les choses, ce qui n’est guère évident dans ce voyage en absurdie. Parmi les personnes interrogées, l’économiste britannique Guy Standing relate son passage au forum économique mondial de Davos … et son récit laisse sans voix.
Voyage en absurdie
Il y explique avoir mené une conférence exposant les dangers sociaux et économique de cette précarisation en marche. Et des grands patrons d’entreprises, des pontes du CAC 40 de lui confier qu’ils sont aussi préoccupés par la situation, eux qui ont besoin d’une société paisible pour faire des bénéfices … bénéfices démultipliés par la casse du marché de l’emploi dont ils ont été eux-mêmes les promoteurs. On s’en étoufferait. Comment être aussi inconséquent et déconnecté ? Aujourd’hui, un tiers des européens est directement menacé, vit dans la peur de tout perdre du jour au lendemain. Toujours selon Standing, le précariat a accouché d’une nouvelle classe sociale explosive alors qu’elle prend conscience du péril … et du pouvoir qu’elle-même représente, face à un modèle économique néo-libéral dont on découvre chaque jour le pouvoir de nuisance, le manque de bon sens pratique et l’avidité totalement aberrante.
Bref, ces 90 minutes dressent un état des lieux aussi limpide qu’alarmant, qui nous concerne tous. Et les deux documentaristes de ne conclure sur rien, car en l’état on ne sait ce qui va advenir. C’est probablement le plus anxiogène, dans tout cet exposé, que d’ouvrir sur l’infini des possibles … une manière de responsabiliser le spectateur, de l’amener à s’impliquer ? D’échapper au fatalisme qui nous touche tous, à cette résignation que de plus en plus de précaires refusent de subir ?
Et plus si affinités