Nous évoquions dernièrement les déboires des restaurants gastronomiques par gros temps covidien. Certains ont pris le taureau pandémique par les cornes, fonçant direct sur l’option drive pour sauver leurs établissements du naufrage. Parmi eux, Le Bouche à Oreille, restaurant étoilé intégré au complexe hôtelier La Maison des blés installé à Boutervilliers, entre Essonne et Beauce.
Aux fourneaux, Aymeric Dreux, qui a fait ses classes dans les cuisines du Crillon, entre autres. Amoureux des beaux produits et des filières courtes, chantre d’une « cuisine bourgeoise retravaillée » dont il exhale les arômes naturels, il met en avant les producteurs locaux dans une carte renouvelée où le terroir prime.
Énergique, impliqué, c’est avec une agilité évidente qu’il pivote vers la voie du drive, proposant chaque jour un nouveau menu pour les amoureux de bonne chère. Qui sont au rendez-vous. Et nous avec eux. Dimanche 11h37 : après avoir consulté le Facebook du restaurant la veille et commandé deux menus par téléphone, nous déboulons sur le parking de l’hôtel, dont nous apprécions immédiatement l’architecture épurée.
A l’entrée une table, une hôtesse qui demande notre nom tandis que nous prenons place dans la file d’attente, distanciation oblige. Accueil souriant et rapidité d’exécution, malgré les masques et les gestes barrières. C’est agréable, revivifiant et tout à fait envisageable, n’en déplaisent aux bougons qui conspuent cette option. Le sac arrive, apporté depuis les cuisines par une charmante jeune fille. Paiement sans contact, voiture, sac calé à l’arrière, retour au bercail étampois : une demi-heure de trajet sans compter une petite virée dans la verdure de Châlo.
Nous déballons les trésors :
Gambas en nage d’agrumes, vanille gingembre et céleri rémoulade
Suprême de volaille fermière, pommes grenailles de Noirmoutier, crème d’asperges
Tarte aux abricots, crème d’amandes et pistaches.
Premier constat : même dans la boite en plastique, c’est bien présenté. Le dressage, c’est une seconde nature, un réflexe pour tout chef qui se respecte. Dreux n’a pas pu s’en empêcher et sa cuisine l’impose naturellement. Même à emporter, ses plats se positionnent harmonieusement.
Et trouvent leur place immédiatement dans l’assiette. Même dépareillée et ébréchée. Quant au réchauffage du plat, il est rapide et simple. Tout a été pensé pour éviter des finitions qui dénatureraient les préparations, un passage au micro-ondes forcé et indélicat par exemple. Le céleri rémoulade est un régal (Mr Dreux, vous pouvez vous enorgueillir de nous avoir convaincus, cette recette n’étant initialement pas notre tasse de thé), le suprême de volaille est un prodige de moelleux, tendre et savoureux à la fois, la crème d’asperge, un petit bonheur.
Et je ferai une focale sur la tarte aux abricots, dont je suis une adepte presque fanatique (c’est un peu pour le dessert que j’ai choisi ce menu spécifique). Une pâte discrètement feuilletée qui ne se désagrège pas à la première bouchée, des abricots amères juste ce qu’il faut, sucrés pas petites touches élégantes, et une crème d’amandes juste succulente. Bref un véritable miracle d’équilibre, qui arrive intact depuis votre cuisine jusqu’à ma cuillère. Le tout pour 24 euros par personne, sans le vin qu’on peut ajouter sur demande.
Que conclure de cette expérience ? Hormis le fait que vous allez nous revoir, que nous allons vous inscrire dans nos adresses favorites ?
Malgré l’option drive, les exigences gastronomiques demeurent, qui supposent un travail de réflexion en amont de chaque menu. Cela afin de proposer des recettes de qualité, originales et qui tiendront le choc depuis le restaurant jusqu’à la table du client.
Le prix est extrêmement attractif. Une vingtaine d’euros pour un menu « Entrée + Plat + Dessert » à ramener chez soi équivaut à une entrée en salle. Cette politique tarifaire ouvre la voie à un nouveau public, pourrait même constituer une alternative à la malbouffe des fast-foods. Car 24 euros, c’est un peu plus à peine, qu’un repas chez McDo, où l’on cumule très vite les offres (c’est la stratégie marketing du groupe du reste) pour arriver à une facture de 20 euros par personne.
La solution semble inspirer le restaurateur lui-même qui envisage de pérenniser ce service Drive, vu l’affluence. Ce que nous applaudissons et soutenons avec ferveur. Car cela constitue une source de financement supplémentaire pour des restaurateurs constamment en équilibre instable au niveau trésorerie ; et cela permet de désenclaver cet univers, d’ouvrir la gastronomie à tous, de lui apporter un nouveau souffle.
J’ajouterai pour conclure que l’expérience du drive gastronomique permet une proximité avec le restaurateur, que le décorum feutré des salles n’autorise pas forcément. On retrouve quelque part le charme d’une complicité, un petit bout de discussion à un mètre de distance au moment de récupérer sa commande certes, mais finalement plus proche que si on était installé à une table d’apparat, avec la peur constante de briser un verre, de ne pas user de la bonne fourchette, de tacher la nappe.
C’est une nouvelle intimité qui se dessine de fait, et qui s’annonce riche de très bonnes surprises.
Et plus si affinités