Tant qu’à reprendre le taff, autant le faire en fanfare ! Après un mois de silence agrémenté des habituelles rediffs estivales, il était temps que nous rompions notre jeûne rédactionnel, si possible avec un boulet de canon. C’est chose faite avec cette chronique consacrée au magistral Babylon Berlin.
La joie d’être vivant, la honte d’être vaincu
Une série TV donc, allemande et policière de surcroît, qui nous plonge tête la première dans le Berlin des années 20-30. Or le Berlin de ces années dites folles n’usurpe pas son surnom de Babylon. On y boit, baise, tue, crève, trahit, séduit, on y complote, survit, on y vit ses chimères, se noie dans ses désirs, ses addictions, ses ambitions, on s’y drogue avec volupté et terreur. Sur fond de crise économique et de misère grandissante, dégradante, avec dans le nez l’odeur de poudre, de merde et de décomposition des champs de bataille de la Grande Boucherie. La joie d’être vivant et la honte d’être vaincu.
Dans ce cloaque infect et merveilleux, des flics qui essayent d’assurer l’ordre… ou de le dissoudre. Le jeune inspecteur Rath, rescapé des tranchées, camé, amoureux fou et malheureux, héritier d’une famille qu’il veut oublier ; Charlotte, fille des rues, garçonne émancipée, qui veut échapper à son statut en devenant enquêtrice. Autour d’eux, une galerie de personnages dignes des tableaux d’Otto Dix, des pièces de Brecht, travelos, putes, gangsters, gros bourgeois, politiciens véreux, gamins des rues, contestataires cocos, agents staliniens, nazillons aux dents longues… Tous vont s’aimer, se haïr, se détruire frénétiquement, dans une ambiance pré-apocalyptique étouffante.
République de Weimar en péril
Derrière la caméra, Hendrik Handloegten, Tom Tykwer, Achim von Borries. Devant Volker Bruch, Liv Lisa Friers, Peter Kurth, Leonie Benesch et une kyrielle d’acteurs tous aussi bons les uns que les autres pour incarner les héros du romancier Volker Kutscher ici adapté avec une rare maestria et un lot impressionnant de références à l’expressionnisme allemand, Fritz Lang en tête. Les trois saisons déroulent des intrigues prenantes qui permettent de pénétrer la réalité d’une République de Weimar en péril constant, d’une société au bord de l’implosion, dont on comprend progressivement comment elle a pu adopter le nazisme à bras pas si ouverts que ça.
Comme pour ajouter de l’étoffe à ce récit flamboyant, la musique, l’univers des night clubs et des maisons de passe, la présence à l’écran de Bryan Ferry qui interprète certains morceaux revisités jazzy de Roxy Music, lalituanienneSeverija Janušauskaitė, qui chante le thème envoûtant de la série, et le Pustra, travesti berlinois notoire qui endosse le rôle d’un maître de cérémonie porno aussi effrayant que fascinant. Les décors également, recréés numériquement pour certains, dans ce qui reste de l’ancienne capitale pour les autres. Un travail de reconstitution gigantesque, jusque dans le détail des costumes, des accessoires.
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Bref, Babylon Berlin s’impose dès les premières minutes, vous absorbe, vous hypnotise, malgré une nausée de plus en plus prononcée, des retournements de situation qui n’épargnent guère le quotient émotionnel du spectateur. Tout y est d’une qualité extrême, depuis le sujet jusqu’à l’univers, les images, les plans, la photographie… Addictif au dernier degré, le programme se dévore d’une traite…et vous laisse sur votre faim. Il ne reste alors qu’à attendre la quatrième saison, qui a bien été commandée… mais qui subit les retards de tournage liés à la crise covidienne. Patience donc… et d’ici là, on peut visionner en boucle les épisodes des trois premiers chapitres de la saga : il y a tant à y décrypter !
Et plus si affinités :
Vous pouvez visionner les premières saisons de la série Babylon Berlin sur :