C’est l’un des grands survivants de l’hécatombe culturelle estivale. Pour célébrer ses 100 ans dignement malgré la pandémie, le festival de Salzbourg a dû s’adapter aux impératifs sanitaires. Réduction de la programmation, places divisées par deux, protocole sanitaire au cordeau, version réduite des opéras … Markus Hinterhäuser, directeur de l’auguste institution, n’a pas lésiné sur les sacrifices pour permettre cet anniversaire hautement symbolique … et surprenant par la qualité épurée qui s’en dégage, en témoigne ce magnifique Cosi Fan Tutte covid-compatible diffusé sur ARTE.
Esprit de nouveauté
Une nouveauté également que ce relais internaute en direct et en replay pour une mise en scène signée Christof Loy qui adapte ici en version courte sa lecture de 2008 initialement destinée à l’opéra de Francfort. Avec à ses côtés pour retravailler la partition, la cheffe d’orchestre Joana Mallwitz, et c’est là aussi une première pour le festival salzbourgeois que d’accueillir une femme à la direction d’une formation. Tâche dont elle s’acquitte avec une rare perfection, sans jamais trahir l’esprit de la musique de Mozart.
Cosi fan Tutte commence sur un pari stupide pour terminer avec une certaine amertume sentimentale. Et toute la composition reflète ce glissement, qui devient l’enjeu même de l’interprétation. Résumons : Gugliemo et Ferrando sont fiancés à deux sœurs, Dorabella et Fiordiligi. Un de leurs amis, Don Alfonso, met en doute l’attachement de ces demoiselles, misant sur l’inconstance légendaire des femmes. Les jeunes gens, convaincus de la fidélité de leurs amantes, décident de les mettre à l’épreuve. Ils feignent de partir en guerre … et reviennent, déguisés, tenter de les séduire. Et y parvenir …
Place nette pour Mozart
Si Mozart s’amuse initialement de cet échangisme sentimental, il donne aussi à entendre les failles creusées par ce jeu dangereux dans la psyché de chaque personnage. Tout passe par la musique et la voix. Nul besoin des flonflons d’une mise en scène pour capter la détresse profonde de ces amoureux confrontés à la trahison, au mensonge, à des élans du cœur et de la chair qu’ils ne maîtrisent absolument pas. Dépassés, ils découvrent une part d’eux-mêmes dont ils ignoraient tout, et qui fracasse leur conception du couple, de l’engagement, de la foi et de la confiance en somme. Dans cette aventure, les liens d’amour et d’amitié sont mis à rude épreuve.
Et l’approche épurée, pour ne pas dire ascétique, de Christof Loy, laisse le champ libre à cette révélation. Neutralité d’un décor blanc sans aucun artifice, petites robes noires et costumes sombres, c’est plus à une mise en voix qu’à une mise en scène qu’on assiste. Place nette donc pour la musique de Mozart, ici interprétée en majesté par des chanteurs totalement investis : Elsa Dreisig, Marianne Crebassa, Lea Desandre, Andrè Schuen, Johannes Martin, Bogdan Volkov. A eux six, et avec une virtuosité incroyable, ils donnent à sentir ces émotions contradictoires, ce jeu cruel des sentiments qu’on manipule. L’essence même de l’œuvre en somme.
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Au terme de ces deux heures trente d’harmonie, on est revenu à l’essentiel : la beauté. Pure, sans artifices. La spontanéité, la simplicité. C’est peut-être la chance à saisir en cette occasion d’échapper au spectaculaire du décorum pour revenir aux fondamentaux. Pour les donner à découvrir et savourer à tous, en dehors d’une salle de spectacle, des fastes d’une célébration. A l’heure de la pandémie, Mozart s’adapte remarquablement. Il en sort même grandi, radieux, porté par des interprètes sidérants de justesse, animés par le plaisir de chanter ensemble. Quelle leçon …
Et plus si affinités
https://www.arte.tv/fr/videos/098629-001-A/cosi-fan-tutte-de-mozart/