Très attendue après un tsunami de teasing sur les réseaux sociaux, Emily in Paris est sortie le 2 octobre 2020 sur Netflix. Les réactions ont été très tranchées chez les internautes : perplexité face à l’image édulcorée de Paris, enthousiasme pour un scénario léger et divertissant. Qu’en est-il au bout du compte ?
Paris utopique
La série raconte le quotidien d’Emily, une jeune américaine qui quitte précipitamment Chicago pour intégrer l’agence de marketing de luxe parisienne « Savoir ». Elle va tenter d’offrir un point de vue américain à cette branche française d’un grand groupe international. Et ce n’est pas gagné. L’héroïne débarque en effet à Paris sans parler un mot de français, avec en tête les campagnes Chanel ou le film Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain !
Confrontée au mode de vie à la française, elle se retrouve dans des situations cocasses. Elle se trompe de porte d’appartement car le système de numérotation des étages diffère des USA, réserve le restaurant pour le mauvais mois, ignorant tout du système de datation hexagonal. La jeune femme s’émerveille néanmoins des rues parisiennes à chaque instant, avec force croissants, bérets et chansons françaises en fond sonore.
L’abondance des clichés
Si le brusque changement de vie d’Emily et son regard d’expat constituent un socle scénaristique intéressant, la manière dont ce regard est décrit a suscité les critiques. La série multiplie les clichés sur la France et sa capitale. Scénariste et producteur, Darren Star développe une vision de la vie parisienne digne des plus grands films romantiques mais très éloignée de la réalité. Pas de transports en communs à l’heure de pointe ou de crottes de chiens abandonnées sur le trottoir !
Dans Emily in Paris, on se déplace uniquement en taxi, on arpente les pavés en talons aiguille et les rues sont immaculées. Mais il n’y a pas que les rues de la capitale qui semblent tout droit sorties d’un imaginaire à l’eau de rose. Les parisiens made in Star sont de véritables clichés ambulants. Gabriel, le voisin d’Emily, est infidèle, ses collègues de travail sont accros à la cigarette, le verre de vin est requis sur la table du déjeuner : tous les stéréotypes d’hier et aujourd’hui sont énoncés.
Le marketing entre glamour et scandale
Au milieu de ses collègues alcooliques et volages, Emily s’impose comme une professionnelle du marketing, l’occasion une fois encore pour les créateurs de surfer sur tous les clichés du milieu. Elle travaille dans une grande agence parisienne ? Les annonceurs lui tombent dans les bras et elle évolue professionnellement en quelques battements de cils. Un tournage de publicité va même jusqu’à s’arrêter car miss Emily a un commentaire à faire … On est bien loin de la réalité des contraintes budgétaires millimétrées du métier !
Tout est d’une simplicité déconcertante dans le monde d’Emily. Les horaires de travail sont approximatifs, les pauses déjeuners lui laissent le temps de faire trois fois le tour de Paris. Au brief marketing, on préfère les soirées mondaines et les tromperies de la directrice d’agence. Comble du comble : contactée un an avant le tournage, la rédaction de Stratégies a fourni des exemplaires du magazine pour « faire plus vrai ». On aperçoit aussi sur les étagères des trophées Eurobest, ce qui pose question quand on constate le peu de crédibilité des bureaux de Savoir.
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Sur les traces de Carrie Bradshaw
Jouer la carte des stéréotypes n’a rien de nouveau dans l’univers des séries et du cinéma, c’est même une vieille recette que le créateur d’Emily in Paris affectionne, lui qui est à l’origine de la série à succès Sex and The City, avec son héroïne Carrie Bradshaw, simple pigiste installée en plein cœur de Manhattan, dans un quartier où les loyers se chiffrent en moyenne à 4 000 $ par mois, avec ses paires de chaussures griffées et sa vie amoureuse en dents de scie.
Gossip Girl de Josh Schwartz et Stephanie Savage surfe également sur les clichés en détaillant les parcours d’études de la jeunesse dorée de Manhattan, plus axée sur les défilés de mode que les programmes scolaires. Paris est aussi l’objet de toutes les sublimations: dans Midnight in Paris par exemple, la capitale devient un espace onirique et romantique au son de l’accordéon. Bref l’utilisation des stéréotypes dans les intrigues fonctionne généralement … alors pourquoi cela pose-t-il problème dans le cas d’Emily in Paris ?
Conte de fée à l’excès
Parce qu’il y a trop de clichés qui s’accumulent au fil des épisodes et qu’ils versent dans l’outrance et le ridicule ? Des français volages au vin et aux croissants, en passant par les bérets et les horaires de travail, les scénaristes s’en sont donné à coeur joie … et les spectateurs français n’ont guère apprécié ce conte de fées versant dans l’excès de guimauve, surtout vu le contexte socio-économique actuel qui contredit ce récit sans obstacles ni contraintes.
Lorsqu’on sait que trouver un appartement à Paris à l’heure actuelle relève presque du miracle, « la chambre de bonne » gigantesque d’Emily laisse effectivement un goût amer. Idem pour son succès foudroyant dans un secteur saturé. L’absence totale des soucis administratifs auxquels les expatriés peuvent être confrontés, la quasi non existence de la barrière de la langue, bien qu’Emily ne parle pas un mot de français, ont eu le mérite d’agacer même les américains vivant en France.
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Positivité réaliste
Second effet Covid ? Les spectateurs se détournent de cette utopie lisse et sans réelle saveur. La période est-elle à la quête de réalisme, de vraisemblance ? Les visions idéalisées de la Tour Eiffel, les baguettes craquantes ne font plus autant rêver. On veut toujours voir à l’écran des success stories positives mais auxquelles on peut s’identifier. Entre crise sociale et bouleversement écologique, la soif d’évasion ne se traduit plus de la même façon. Un nouvel équilibre narratif s’impose. Du positif certes, mais plus de décalage total avec la réalité.
Parce que la fluidité souriante de son quotidien agace plus qu’il ne fait rêver, parce qu’elle est ultra-marketée, distancée, scénographiée comme une instagrameuse, Emily ne peut prétendre au statut d’héroïne confrontée au réel. Ce nouvel équilibre, plus moderne, plus concret, est beaucoup mieux abordé selon moi dans The Bold Type qui met aussi en scène trois jeunes femmes évoluant dans le milieu de la communication et de la presse écrite. Cette série américaine apporte aux success stories traditionnelles le vent de fraîcheur et de féminisme qu’Emily in Paris n’a pas su apporter.
Héroïne et produit marketing
Il n’empêche. Malgré ses maladresses, Emily in Paris s’est hissée dans le top 10 des séries en France dès la semaine de sa sortie. Un succès engendré par une couverture médiatique critique ? Comme le rappelle l’acteur Lucas Bravo qui interprète Gabriel, la série se veut légère et divertissante ; si on adore la détester, Emily in Paris a le mérite de nous faire sourire de nombreuses fois à cause de ses excès justement. Et de faire vendre ?
“En bon personnage marketé, Emily Copper peut tout porter” explique Sabrina Pons dans un article de Madame.Figaro. Et les ventes en ligne de bérets et mini-jupes d’exploser. Ce qui expliquerait la mièvrerie du scénario et des situations ? Une intrigue façonnée comme un storytelling de publicité ? Emily super persona en action, qui parle aux attentes secrètes de jeunes consommatrices en mal d’émancipation, actionne les bons leviers du click and collect ?
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Et pourquoi pas, après tout ? L’histoire d’amour entre les marques et les séries télévisées ne date pas d’hier. Le scénario d’Emily in Paris, avec son côté appuyé, presque naïf, marquerait une étape supplémentaire dans cette relation pub/fiction qui doit désormais parler au cœur d’un public ultra connecté. La fin de la saison 1 laisse présager une suite. L’occasion pour les scénaristes d’ancrer Emily dans le réel … ou d’accentuer son côté Cendrillon numérique ?
Et plus si affinités
https://www.netflix.com/fr/title/81037371
https://www.mariefrance.fr/actualite/polemique-emily-in-paris-499689.html#item=1