Signe de temps obscurs et de migration digitale en masse pour la culture, figurez-vous que les bouquinistes de Paris viennent de passer avec armes, bagages et stocks de vieux livres au digital ! La preuve avec le lancement tout chaud tout beau du site vitrine bouquinistesdeparis.com/!
Continuer à vendre des livres
Objectif de la manœuvre : permettre aux bouquinistes qui s’inscrivent sur la plateforme de continuer à vendre livres, magazines, affiches, gravures et autres vieux papiers en dématérialisé. A l’origine de cette démarche, David Nosek, lui-même bouquiniste spécialisé dans les estampes et livres anciens depuis une quarantaine d’années.
Il faut dire que la profession s’est pris la pandémie en pleine face. Covid oblige, les petites boites vertes qui égayent les quais de Seine sont en passe de boucler définitivement, menacées par le confinement d’une part, la désertion des touristes de l’autre, et au milieu une chute d’environ 80 % des ventes. Pour survivre, certains bénéficient des aides de l’État, d’autres piochent dans leur bas de laine.
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Une tradition vieille de la Renaissance
Aucun ne veut baisser les bras : la profession porte une tradition vieille de la Renaissance, quand elle se concentrait sur le Pont-Neuf. C’est chez les bouquinistes que Balzac, Baudelaire, Verlaine, tous les jeunes auteurs dans le besoin, les étudiants sans le sous, les artistes miséreux allaient dénicher les pépites littéraires bon marché dans lesquelles ils puisaient le savoir et l’inspiration.
C’est donc un pan de notre histoire littéraire et culturelle qui est en jeu, bien au-delà d’une simple question de « parisian touch », couleur locale chère aux touristesUne Histoire mondiale du livre : une aventure humaine en goguette dans notre chère capitale. Et une manière très traditionnelle d’envisager le métier de libraire : livres cellophanés, discussion avec les passionnés … Internet ? Les plus jeunes ont éventuellement un compte Instagram, mais à peine.
Esprit de résistance
Les bouquinistes sont pour la plupart des retraités, et des militants. La vente de la culture à la pelle, en mode flagship FNAC Amazon, ce n’est pas leur tasse de thé, bien au contraire. Et l’initiative de Nosek n’en a pour l’instant convaincu qu’un quart. Mais cela pourrait changer. Car si c’est un métier de conviction, c’est aussi un esprit de résistance.
Qui en a vu d’autres au travers du temps, ajoutant censure, persécutions, interdictions aux aléas de la météo (eh oui, le bouquiniste est un oiseau de plein air actif sous le soleil, la pluie, la neige). Et la perspective de voir gagner la dématérialisation du e-book n’est pas fait pour lui plaire. Il faut donc s’attendre à une remontada vigoureuse, souhaitons-le du moins.
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L’étoffe même de ce métier
Bouquinistesdeparis.com relève le gant en tachant de préserver l’étoffe même de ce métier : une catégorisation précise pour se repérer et valoriser l’expertise de chacun, pas de transactions directes on line : on remplit son panier, on valide … et on est redirigé vers le spécialiste. Pas de frais pour l’usager client ou vendeur, on paye directement au bouquiniste concerné.
16 pages et 1999 offres plus tard, il y a du lourd en stock : BD, livres de poche, objets de collection … des bouquins introuvables, des éditions initiales. Je note immédiatement la présence de Hollywood Babylon 1&2 de Kenneth Anger réimpression 1986 pour le volume 1, édition originale pour le second qui est signé de la main de l’auteur, le tout pour 150 euros.
Une caverne d’Ali Baba
Un exemple parmi tant d’autres de la réelle mission des bouquinistes : sauvegarder et transmettre des ouvrages rares, les négocier à des prix raisonnables, permettre aux personnes modestes d’accéder à cette connaissance … et à ces pièces de collection, tout en retrouvant le plaisir du livre objet, qu’on respire et caresse, dont on contemple la couverture, qu’on a la joie de tenir en main.
Et soudain une fulgurance : depuis ce matin, alors que j’écris cet article, je m’oublie à parcourir cette vitrine formidable, émerveillée par tant de trésors, un rien angoissée pour mon budget qui va en prendre un coup. C’est une vraie caverne d’Ali-Baba, que les connaisseurs comme les néophytes vont éplucher avec délectation.
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Les parisiens confinés certes, mais aussi les amoureux de bouquins paumés dans leur campagne, les jeunes en mal de vraie lecture, les touristes privés de voyage … Et si soudain ce site nous ramenait à la source ? Ne proclame-t-il pas la devise de Lutèce «Fluctuat nec mergitur » ? A suivre donc, avec attention, à consulter en continu, car bouquinistesdeparis.com/ n’a pas fini de nous étonner, et c’est une mine de cadeaux à faire aux autres et à soi, en toute circonstance !
Et plus si affinités
https://bouquinistesdeparis.com/
https://www.parisinfo.com/shopping/73937/Les-bouquinistes-de-Paris
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bouquinistes_de_Paris
https://www.paris.fr/pages/les-bouquinistes-et-paris-histoire-d-amour-en-majuscules-7886
https://www.nytimes.com/fr/2020/11/08/world/europe/bouquiniste-paris-seine-livres.html