Tant qu’à finir 2020 en beauté, autant le faire en visionnant Le Loup de Wall Street. Inégalable dans le talent, le rythme, la démesure, le chef-d’œuvre de Scorcese (et son plus gros hit au box office) respire une folie pure qui convient parfaitement à l’atmosphère actuelle d’absurdologie totalement assumée.
Du fric, du fric, du fric
Trois heures durant, Scorcese nous conte l’ascension fulgurante et la chute d’autant plus fracassante de Jordan Belfort. Un trader aux dents bien aiguisées, qui va connaître un succès incroyable dans les années 80 en créant Stratton Oakmont, maison de courtage en bourse en mode antre de pirates. Objectif : faire du fric, du fric, du fric ; s’éclater au passage, accumuler du pouvoir, de la reconnaissance sociale. Et tout démolir dans la came, les putes, les orgies. Les malversations et les détournements également.
Une histoire de débâcle comme Scorcese les aime ; des personnages qui démolissent méthodiquement le paradis qu’ils ont eu tant de mal à bâtir. La Roue de la Fortune, telle que Shakespeare la définit dans ses tragédies universelles. Chronique de la connerie humaine, des faiblesses de la chair, du coeur, vanitas vanitatis à la sauce américaine. Un thème de prédilection pour le réalisateur de GoodFellas et Casino, qui le décline ici au-delà de toute convenance et avec une délectation sans pareil.
Séquence d’anthologie
Et il met le paquet, aidé en cela par ses interprètes, Leonardo DiCaprio en tête qui incarne ce trader sans scrupules, jusque dans les situations les plus scabreuses, avec notamment une séquence d’anthologie où, complètement camé, écumant, à moitié paralysé, son personnage fou de rage se bat avec un de ses comparses, emmêlé dans un fil de téléphone. Il faut le voir pour le croire, sachant que chaque scène de cette fresque démentielle est un morceau de bravoure en soi, une leçon de cinéma … et le reflet d’un vécu.
Eh oui, le film est un biopic, inspiré de l’autobiographie commencée par Jordan Belfort en prison, tandis qu’il purgeait sa peine, après avoir été condamné entre autres pour escroquerie. L’achat des droits a d’ailleurs été l’objet d’âpres négociations, tant ces derniers étaient convoités. Belfort apparaît d’ailleurs dans la conclusion du film, preuve que ce type d’individu retombe toujours sur ses pattes. Mais avan,t, mon Dieu, que de cabrioles, pour lui et son entourage ! Et le plein de coups de pression, de rigolades et d’écœurements pour un public aussi fasciné que dérouté.
https://www.theartchemists.com/margin-call-au-rythme-dun-chien-qui-meurt/
C’est que derrière ces travellings épiques, cette décadence homérique, on sent les dysfonctionnements d’un système financier prédateur où tous les coups sont permis tant qu’il s’agit de s’enrichir, quitte à plumer de pauvres gugusses embobinés par un argumentaire de vente ultra-agressif et fort peu honnête résumé en une punchline : « vendez-moi ce stylo ». De fait Le Loup de Wall Street nous plonge en mode express dans les coulisses peu reluisantes du trading, perçu comme l’envers du rêve américain. Comment, pourquoi : pour le coup, la leçon est claire, rude et mémorable.