La série Ratched? Sans conteste un nouveau joyau dans la constellation créative du show runner Ryan Murphy. Pour différentes raisons.
La genèse de Big Nurse
Amateur d’intrigues aussi sanglantes que tordues, Murphy demeure ici dans son champ d’expertise, à savoir l’exploration de la monstruosité humaine sous toutes ses formes. Nouvel objet de ses attentions, la série Ratched relate en huit épisodes la manière dont Mildred Ratched est devenue infirmière de renom … et psychopathe patentée. Nous parlons bien de Mildred Ratched, l’infirmière tyrannique du roman de Ken Kesey, Vol au dessus d’un nid de coucou, immortalisée à l’écran par Louise Fletcher devant l’objectif de Milos Forman. Une prestation oscarisée du reste, tant l’interprétation de Fletcher était impactante. Difficile donc de passer derrière … mais terriblement tentant.
Murphy ne put résister, lui qui aime tant les personnage de femmes troubles, à la fois dangereuses et blessées, comme en témoigne la longue liste des ombrageuses héroïnes d’American horror story. C’est donc avec un plaisir évident qu’il s’attaque au prequel du roman de Kesey, avec Michael Douglas comme producteur, qui a hérité des droits du livre que possédait son père Kirk. Problématique : comment Mildred Ratched a-t-elle pu devenir « Big Nurse », cette infirmière en chef inflexible et manipulatrice, qui pousse ses patients au suicide quand ils lui désobéissent ? Quelle a été sa gestation, sa genèse ? A partir de là, tous les coups sont permis. Et Murphy va s’en donner à cœur joie pour expliciter ce parcours.
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Un monde faussement libre
A grand renforts d’intrigues secondaires qui s’emmêlent dans ce sac de nœud psychique que d’aucuns ont considéré comme inutile. Dommage car c’est justement le propos de cet emboîtage d’histoires que de démontrer un concept essentiel : nous sommes tous des monstres, et nous avons bien des raisons de l’être. Mildred bien sûr, dont on comprend rapidement pourquoi elle se comporte ainsi, mais également ceux qu’elle croise, et qui cultivent allègrement leur folie comme d’autres des géraniums ou des poireaux. Sous couvert de respectabilité, en quête de puissance, affamés d’un bonheur qu’ils s’interdisent de vivre.
L’hôpital psychiatrique du Dr Richard Hanover, où l’élégante Ratched s’infiltre à coups de menaces et de chantage, reflète les travers de la société américaine des années 50, à peine sortie de la Seconde Guerre Mondiale avec son cortège d’horreurs pour plonger dans la Guerre Froide et son hypocrisie. Le maccarthysme ne va pas tarder à pointer son nez, de même la surconsommation déjà à l’œuvre, sur fond de sexisme, d’homophobie et de racisme. L’occasion pour Murphy de dénoncer les travers d’un monde faussement libre, où les thérapies de conversion sont monnaie courante, les traitements psychiatriques de véritables tortures, les soignants des bourreaux pétris de bonnes intentions.
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Qui dans cette histoire est normal ?
Toute cette souffrance pour avoir l’air normal. Mais qu’est-ce qu’être normal ? Mildred qui œuvre dans l’ombre pour sauver un frère adoré et qui découvre l’amour là où elle ne l’attend pas ? Le Docteur Hanover, dangereux charlatan qui rêve d’aider son prochain ? Edmund Tolleson, tueur de masse, dont on saisit progressivement les réelles motivations et la quête de justice ? Betsy Bucket, vieille infirmière rigoriste, secrètement amoureuse d’un patron qui la méprise ? Lenore Osgood, veuve richissime affublée d’un fils sadique qu’elle veut venger ? Charlotte Wells, qui pour échapper au souvenir de son agression, s’invente des personnalités multiples d’une rare violence ?
Qui dans cette histoire est normal ? Et qui peut décider de ce qui l’est ou pas ? Ici Ratched sort de l’aura d’American Horror Story pour faire le lien avec l’émouvant Pose, le poignant Feud -Bette vs Joan. Dont il reprend l’esthétique léchée, les décors fifties soignés jusque dans les moindres détails, les costumes somptueux, les voitures magnifiques. Le travail de l’image, des couleurs, des lumières rehausse ces environnements uniques tout en alimentant la bizarrerie des situations, l’anxiété latente qui se dégage des échanges humains,les brusques changements émotionnels des personnages. Les plans, le montage, évoquent Hitchcock, Kubrick, Forman … une leçon de cinéma donc et des clins d’oeil constants à un patrimoine filmique riche que Murphy porte dans son cœur. Tout comme son amour des actrices.
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Une série de femmes
Ratched est une série sur une femme, sur des femmes. Une série pour des comédiennes d’exception. Sarah Paulson, bien sûr, parfaite dans le rôle titre auquel elle prête une froideur de façade sous laquelle couve un feu passionnel irrépressible. Judy Davis, aveuglée d’amour au point de flirter avec l’érotomanie. Sophie Okonedo, magistrale quand elle passe de personnalité en personnalité, en pleine crise de démence. Amanda Plummer, insupportable logeuse alcoolique. Rosanna Arquette, petite lueur d’humanité candide dans ce tourbillon de perversion. Cynthia Nixon, intelligente, amoureuse, lumineuse. Et Sharon Stone, majestueuse et destructrice.
Ces dames mènent la danse auprès d’acteurs particulièrement efficaces : Finn Wittrock, Jon Jon Briones, Charlie Carver, Vincent D’Onofrio pour ne citer qu’eux. Mais Ratched reste un univers de femmes qui s’entre-déchirent tout en s’entraidant. Qui essayent de survivre, de vivre comme elles peuvent. Des Bonnes de Genêt à la sauce californienne, dans une Amérique conventionnelle à en vomir. Si Ratched a un point fort, c’est justement de mettre en évidence ce terreau de puritanisme rampant et trompeur qui a alimenté des décennies plus tard les harcèlements en tout genre, le trumpisme et ses dérives complotistes, les extrémismes, l’intolérance sous toutes ses formes. Des monstruosités dont il est grand temps de se défaire définitivement.
Et plus si affinités