La semaine dernière, nous chroniquions Ratched. Ce qui nous a valu de replonger dans la bio de Ryan Murphy … et d’y retrouver Hollywood. Mini-série que nous avions envisagé de visionner à sa sortie sur Netflix en mai 2020, sauf que de l’eau a coulé sous les ponts culturels, on a eu plein d’autres trucs à faire, gnagnagna … Du coup, séance de rattrapage, coup de coeur et binge watching ! Car Hollywood nous a éblouis et filés une énergie incroyable. Une feel good série dont on ne peut ni ne doit faire l’économie.
Une histoire trop compliquée ???
Entrons dans le vif du sujet avec un coup de gueule inspiré par ces lignes extraites de Wikipédia (oui, Wikipédia, j’assume, l’encyclopédie en ligne a mis 20 ans à s’imposer, c’est un incontournable, donc Wikipédia addict et fière de l’être) :
“Lors de sa sortie, la série a divisé les critiques aux États-Unis. Sur le site agrégateur de critiques Rotten Tomatoes, elle recueille 59 % de critiques positives, avec une note moyenne de 5,87/10 sur la base de 58 critiques collectées. Le consensus critique établi par le site résume que « la série a du cœur et du style mais manque de subtilité ». Néanmoins, le site précise que la série « a de très bonnes intentions mais une histoire trop compliquée ».
Idem sur Métacritic, avec une note de 54/100 après synthèse de 26 critiques. Et là je me dis qu’il y a un gros souci ; on n’a pas dû voir le même programme, les gars. Une histoire trop compliquée ? Tudieu, vous n’avez pas vu la tétralogie Star Wars ou les saisons de Game of thrones, dirait-on. Et je passe sur la lecture de La Comédie Humaine de Balzac, la saga des Rougon Macquart de Zola et les aventures de Tintin. Quant au répertoire de Shakespeare, n’y mettez pas un orteil, vous risquez la lobotomie, là, carrément. Trop compliquée ? L’intrigue de Hollywood ? Vous déconnez ? A moins que ce soit le propos de la série qui ait rendu douloureuse la déglutition de ce petit bijou de bienveillance et d’ouverture d’esprit ?
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Manque de réseau et faveurs sexuelles
Qui n’a pas dû plaire à tout le monde, dans la mesure où Hollywood colle le pif du spectateur dans le merdier que constitue l’industrie cinématographique californienne de jadis … et de toujours. Par la même occasion, un reflet peu glorieux de la société américaine se dresse au fil des sept épisodes, entre racisme, homophobie, misogynie, puritanisme et bien pensance puante de tartufferie. Bref un bon gros climat bien lourd d’intolérance généralisée qui freine notre planète sur le chemin d’une vie en commun, épanouie et heureuse. C’est peut-être là que ça a réellement coincé, et pour cause : avec Hollywood, Murphy fonce dans le tas, à raison.
Un petit pitch s’impose : Los Angeles, fin des années 40, l’âge d’or du cinéma américain et des studios hollywoodiens. Ils sont des centaines à rappliquer dans la ville des anges pour devenir des stars du grand écran. Beaucoup d’appelés, peu d’élus et entre les deux, on vivote comme on peut, petit boulot de merde, pas beaucoup de fric, et l’espoir qui s’amenuise au fil des refus. Manque de réseau, aucune maîtrise des codes, trop de candeur … à Hollywood, ça ne pardonne guère. Pour percer, il faut tout donner, y compris son corps. Et son âme. Les actrices en savent quelque chose qui passent par la case “écarte les cuisses si tu veux un rôle”.
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Démocratie de façade
Les acteurs aussi se retrouvent vite à genoux, en train de sucer un agent influent prêt à les driver contre faveurs sexuelles en tout genre. C’est que la ville est tenue par le grand mâle blanc, décisionnaire richissime qui profite de sa position dominante pour dicter sa loi, vivre ses pulsions. Et il n’a guère l’intention que ça change. Sauf qu’avec Murphy, ça ne se passe pas comme ça. En balançant dans la course au succès une dizaine de jeunes acteurs pleins de vie et de talent, un metteur en scène qui voit large, un scénariste noir, une épouse de mogul qui n’en peut plus de sa vie de bobonne, un proxénète notoire au grand coeur, une DA vieillissante mais pleine de bonté et un producteur progressiste qui veut faire bouger les choses, le showrunner renverse la roue de la Fortune.
Et il donne à voir ce que Hollywood aurait dû devenir au lendemain de la victoire sur le nazisme, si le rêve américain était une vérité vraie et pas un leurre pour tromper les gogos. Une nation juste et égalitaire, où tout le monde a sa chance, pas une démocratie de façade où une actrice noire est cantonnée aux rôle de soubrettes stupides parce qu’elle ne peut être autre chose qu’une descendante d’esclave idiot, où un homosexuel doit se planquer pour vivre ses amours parce que l’américain moyen doit être hétéro et misogyne, où une grosse entreprise ne peut pas être gérée par une femme, car cette dernière est tout juste bonne à être une maîtresse du foyer, une mère de famille et un faire-valoir social.
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Grand ménage uchronique
Sous la plume de Ian Brennan, complice de Murphy et son auteur attitré, le grand ménage s’opère, une uchronie émerge, ponctuée de véritables souvenirs, d’anecdotes connues, mêlant personnages fictifs et vraies figures du cinéma d’alors : Rock Hudson, Hattie McDaniel, Anna May Wong, Henry Wilson … Avec cette question comme fil rouge : et si ? Et si en 1947, le film Meg avait vraiment été tourné dans ces circonstances ? Et si on avait laissé Hudson vivre sa vie ouvertement ? Et si on avait primé une jeune actrice noire dès cette époque ? Et si on foutait un coup de pied dans cette fourmilière dégueulasse pour proposer autre chose, un cinéma plus humain, plus sensé, plus juste ?Et si on disait enfin non ?
Le monde du cinéma en a non seulement le pouvoir, mais également l’obligation morale. Toute l’industrie depuis le figurant, le petit technicien jusqu’au gros producteur. Tous doivent prendre conscience de ce formidable pouvoir de l’image. Des modèles qu’il peut engendrer et transmettre auprès d’un public qui en a réellement besoin, pour s’identifier, prendre confiance, s’intégrer dans la société, le monde. Le cinéma a une puissance initiatrice : il ouvre la voie. Ce que Netflix a du reste bien compris en portant des projets aussi chargés de sens. Trop, diront certains qui n’apprécient guère cette guimauve affective … alors qu’Hollywood fait tant de bien. Parce que c’est un véritable call-to-action, un pousse au cul pour créer, agir, s’aimer tel qu’on est.
Une déclaration d’amour au cinéma tel qu’il devrait être, une série solaire, aussi lumineuse que Ratched est sombre, remarquablement interprétée, dans des décors somptueux, avec des costumes superbes … et qui pose une alternative sinon joyeuse du moins positive aux récits de Kenneth Anger et James Ellroy. Une manière particulièrement énergique et élégante d’imaginer un autre Hollywood. C’est peut-être totalement illusoire et gnangnan, mais ça fait tellement de bien.
Et plus si affinités