Mercredi 23 juin, alors que je déroule mon fil d’actu Linkedin comme tout bon étudiant en recherche d’alternance, mon œil s’arrête sur une news du Palais de Tokyo : Carte blanche à Anne Imhof. L’artiste allemande récompensée en 2017 à la biennale de Venise prend entièrement possession du lieu pour y créer installations et performances. Je suis rarement emballé par la programmation du Palais de Tokyo mais attention, spoil : cette fois, j’ai été conquis par Natures mortes ! Cette exposition, complexe et introspective pour l’artiste, aborde tellement de sujets et utilise des médiums si variés que je ne sais par où commencer.
Dissection architecturale, dimension charnelle
Son titre peut-être : Natures mortes. S’il peut paraître assez énigmatique à la première lecture, il prend tout son sens dès qu’on entre dans le hall du Palais. Anne Imhof a fait arracher tous les faux marbres et autres trompe-l’œil décoratifs afin de dévoiler la structure du bâtiment. Ce dénuement inédit sonne comme un memento mori, révélant toute la fragilité d’un édifice construit pour l’exposition universelle de 1937, et dont l’existence ne devait être qu’éphémère. Pour accentuer la faiblesse de cette structure, l’artiste a fait entourer les piliers avec de grandes plaques de mousse faisant office de pansements. Cette dissection architecturale fait écho à l’aspect introspectif de l’exposition.
En effet, ce parcours permet de s’introduire dans la vie de la plasticienne et dans son processus créatif. Le thème du squelette et de la recherche de l’essence est omniprésent durant la visite, comme dans les peintures monumentales de Sigmar Polke, exceptionnellement prêtées par la Collection Pinault. Ces toiles intitulées Axial Age sont enduites d’une grande quantité de résine, si bien qu’elles deviennent translucides et rendent apparente la structure des cadres faits de bois. De plus, de grandes coutures traversant ces œuvres prennent l’allure de cicatrices et donnent une dimension charnelle à ces mastodontes. La peinture prend ainsi une complexité nouvelle et la structure de la toile intègre la composition.
Surveillance et encadrement
La transparence tient une place centrale dans cette installation géante. En effet, Anne Imhof s’est efforcée d’aiguiser notre regard en créant une succession de points de vue. Lors de votre parcours, vous serez constamment entouré de panneaux de verre, d’œuvres translucides ou de colonnes obstruant la vue : tout réside dans des perspectives ou justement dans leur absence. Vous serez ainsi toujours amené à regarder plus loin que le bout de votre nez pour découvrir les espaces d’une manière différente. Comme dit en introduction, cette installation est complexe et votre œil sera souvent troublé ; parfois les panneaux vitrés révéleront des perspectives, parfois ils renverront un reflet : le vôtre.
Ceci m’amène à une autre thématique dont l’artiste s’empare : la surveillance. La surveillance, ou plutôt l’autosurveillance. Quasiment toujours accompagné de votre reflet ou de celui d’un autre visiteur, vous serez entraîné dans une sorte de voyeurisme à mesure que le labyrinthe vous absorbera. Chaque changement de direction débouche sur la reconstitution d’un lieu ou d’une scène de vie intime. Vous serez par exemple amené à observer une chambre à coucher ou même un enterrement, puis à espionner d’autres spectateurs découvrant ces mêmes scènes. Ce sentiment de surveillance va de paire avec la notion d’encadrement. En effet, dès le début de l’exposition, Anne Imhof nous attire dans un corridor vitré, dont la largeur rétrécit au fur et à mesure, procurant une sensation d’aspiration empêchant tout retour en arrière.
Les premières pensées de l’artiste
La suite de la visite est encore une fois balisée jusqu’à pénétrer dans le Maze. Cependant la situation évolue au cours de la balade : plus on descend dans le palais (jusqu’à des sous-sol rarement accessibles en temps normal), moins le parcours est astreignant. L’évolution est telle qu’on se retrouve un peu perdu dans ces catacombes mal éclairées et qu’on se demande souvent si la pièce où on se trouve fait toujours partie de l’expo. Le doute se lève quand des peintures énigmatiques apparaissent et deviennent curieusement des formes rassurantes dans ce dédale bétonné, paroxysme de l’esthétique punk et postindustrielle recréée par l’artiste.
Celle-ci ayant plusieurs fois expliqué que son processus de création partait toujours de la peinture et du dessin, j’ai ainsi élaboré une théorie : cette descente sinueuse jusqu’aux profondeurs du musée est en réalité un cheminement dans l’esprit d’Anne Imhof. Partant de ses créations les plus abouties au rez de chaussée, le visiteur remonte le fil d’Ariane jusqu’à plonger (cette fois sans parcours établi) dans les premières pensées de l’artiste, sombres, brutes et éclectiques.Marginalité, vie et mort, culture punk, j’aimerais encore remplir des pages sur tous les sujets traités par l’exposition Natures Mortes, mais c’est à vous d’aller confronter votre sensibilité à cette expérience spatiale, visuelle et sonore, organisée d’une main de maître par Anne Imhof. Fin de l’expo en octobre avec une performance de l’artiste.
Et plus si affinités
Pour en savoir plus sur Natures mortes et organiser votre visite, consultez le site du Palais de Tokyo.