C’est clair, non ? Ces mots s’inscrivent en néons rouges sur la scène nue et noire du Théâtre de l’Archevêché à l’occasion de l’édition 2021 du Festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence; ils résument sans détour la promesse faite à toutes ses conquêtes par un Comte Almaviva dont l’infidélité est devenue proverbiale. Faites néanmoins confiance à la pétillante Lotte De Beer pour secouer le marivaudage de Mozart, et transformer Les Noces de Figaro en une fable moderne sur l’amour par temps de Covid et de révolution des genres. Et cela fait beaucoup de bien.
Un soap opéra signé Mozart
Si l’ouverture introduit un prologue inspiré de la commedia dell’arte, le ton change avec la première scène : nous voici catapultés dans un soap opéra, un mix des Feux de l’amour et de Madame est servie, eighties en diable, kitchissime à souhait. Couleurs acidulées, luxe tape à l’oeil d’un intérieur de parvenus, bref un pur décor de série familiale navrante de guimauve émotionnelle à deux balles. Les incartades du comte, transformé en parfait yuppie à l’américaine, y passent crème … au début. Très vite, le personnage s’avère odieux, inconstant, irresponsable, hargneux, violent …
Et soudain les gags qui émaillent habituellement ce genre de programmes apparaissent pour ce qu’ils sont : réducteurs, grossiers, sexistes. Une vision déformée et malsaine des rapports entre classes sociales, entre générations, entre sexes. L’amour s’y étiole de réplique en réplique, tandis qu’on vend ce modèle sidérant de connerie à un public hypnotisé qu’on invite à applaudir aux moments clés par un panneau clignotant. La metteure en scène néerlandaise, résolument, retrouve les racines de Beaumarchais dans l’opéra de Mozart, secoue le tout pour restituer un discours à l’acide sur notre conception usée de l’amour.
Le mariage comme un esclavage social
Quitte à créer le chaos durant la fin de la première partie, et embrayer la seconde sur un plateau épuré où seul le lit baroque demeure du décor initial. Un lit aussi grotesque que stérile, qui devient soudain déplacé dans cet environnement dépouillé. Le symbole d’une union conçue comme un esclavage social, dont la comtesse va devoir s’extraire, que les autres personnages vont devoir contourner pour trouver le bonheur dans une explosion de couleurs, tandis qu’ils se glissent dans d’invraisemblables combinaisons tricotées mêlant seins et verges. Tous transgenres, enfin heureux autour d’un arbre du paradis redevenu innocent.
Quelque chose de La Flûte enchantée dans ce final triomphant qui règle son compte à la conception du couple classique pour légitimer toutes les formes d’amour, tant qu’il est synonyme de tolérance et de félicité ? Où résident finalement le grossier, le sale, l’ordurier ? Dans ces bites qui courent sur la scène, images des fantasmes refoulés de tous ces personnages en quête d’un peu de jouissance (ah cette injonction au bonheur dictée à coup de pubs et de posts Instagram) ? Ou dans le comportement intolérable du Comte, qui harcèle ses employées, insulte sa femme, menace physiquement et moralement ceux qui l’entourent ?
Une vibration dans l’air du temps
S’inspirant par ailleurs des outrances de South Park ou Beavis and Butt-Head, Lotte De Beer multiplie les excès avec un cynisme mordant … et beaucoup de justesse. Chérubin dessinant des petits cœurs sur sa déclaration d’amour à la Comtesse, gêné par une érection qu’il ne contrôle pas … qui n’y verrait pas les premiers émois d’un gamin alors que sa sexualité s’éveille ? Le Comte se détournant de la Comtesse tandis qu’elle se couche à ses côtés, s’enroulant dans des draps froids comme la solitude qui la ronge ? Ce geste définitif d’ôter son alliance pour la jeter au pied de cet époux exaspérant ?
Tout concourt à proposer une approche autre de cet opéra déjà très féministe. Les chanteurs apportent un plus notable, par leurs voix comme par leur jeu. Une vibration nouvelle, intensifiée par l’actualité du propos, mais aussi par l’enthousiasme très net qu’ils ont à être ensemble sur une scène, en contact avec un public certes moindre, respect des jauges oblige, mais néanmoins très impliqué. Le masque chirurgical ? Il est là, protégeant les membres du chœur et les figurants, mais Lotte De Beer en joue, l’intégrant dans l’intrigue même, la scène de quiproquo finale. Et cela ne dénote pas, bien au contraire. L’ensemble est intelligent, perspicace, drôle, sincère et inventif … dans l’air du temps. Mozart for ever, à savourer sans aucune modération.