Imaginez une édition de Ford Boyard ou une saison de Koh Lanta dont les perdants sont immédiatement mis à mort sous vos yeux ; vous n’aurez alors qu’une pâle idée de l’effet Squid Game. La série coréenne diffusée par Netflix pousse le concept au-delà du soutenable, s’offrant au passage une critique féroce et justifiée d’une société impitoyable, soumise aux surenchères du spectacle permanent de la consommation et où la vie en commun, le principe d’équité et la protection de tous ne valent plus grand-chose.
Les perdants sont VRAIMENT éliminés
La série de Hwang Dong-hyuk comporte neuf épisodes, mais dés le premier, vous vous prenez un uppercut pleine face dont vous ne vous relèverez pas. Le pitch est simple : endettés jusqu’aux yeux, menacés qui par la mafia, qui par la justice, isolés, précarisés, 456 candidats recrutés par un mystérieux réseau se retrouvent impliqués dans un jeu grandeur nature, dont le gagnant raflera 4 milliards de wons, gentiment empilés dans un gros cochon tirelire trônant au dessus du gigantesque dortoir où dorment les joueurs.
Problèmes : les perdants sont VRAIMENT éliminés au fur et à mesure des six parties, soit tués pendant des épreuves qui s’avèrent extrêmement dangereuses, soit exécutés par d’énigmatiques et très obéissants gardiens vêtus de rouge et masqués, soit assassinés par leurs propres camarades de jeu à la faveur de la nuit. A chaque mort, à chaque cadavre, le nombre de participants diminue, le cochon se remplit dans un joyeux tintement d’attraction foraine. Évacuées dans de jolis cercueils noirs ornés de nœuds roses comme de funèbres paquets cadeaux, les dépouilles disparaissent.
A lire également :The Truman Show : le mythe de la caverne audiovisuelle
Des sommets de cruauté physique et morale
Le vainqueur s’érigera donc milliardaire sur le monceau des cadavres sanglants de ses rivaux. Il ne lui faudra pas seulement de la force physique, de l’intelligence ou de la volonté pour venir à bout de ces épreuves inspirées de jeux d’enfants complètement galvaudés. Ruse et manipulation, absence d’empathie, cynisme assumé, résistance complète au stress, à la douleur, aux simples réflexes humains de terreur, de partage, d’attachement, d’amitié, d’amour … à chaque partie, les meneurs de ce concours odieux dépassent des sommets de cruauté physique et morale.
Opposer les amis, disloquer les couples, écraser les plus faibles : du pain et des jeux promettait l’Empire romain. Ici le jeu de massacre prétexte l’égalité complète des chances de chaque candidat, offrant l’opportunité rare d’exploser le plafond de verre de la société moderne pour accéder à une fortune indécente, à coup de couteau au besoin. Une vision extrêmement cynique de la démocratie telle qu’elle devrait s’appliquer si elle était débarrassée des hypocrisies d’une humanité hétérogène … ou de ceux qui en ont dévoyé le sens.
A lire également :Clickbait : le procès du tribunal populaire numérique ?
Un système répressif total
Cachés dans les coulisses du Squid game, ils tirent les ficelles, exploitant le désespoir d’autrui pour leur propre gratification. Bien sûr, la fable de Hwang Dong-hyuk évoque les dérives de Battle Royale, La Purge ou Le Prix du danger, toutes ces fictions où, pour fasciner les foules, on met en jeu la vie de gladiateurs improvisés. On pense par ailleurs au roman d’Horace Mc Coy, On achève bien les chevaux, et à son adaptation filmée par Sydney Pollack, qui s’ancrent dans la terrible réalité de la Grande Crise de 1929.
Il y a de quoi frissonner, à raison. Les décors éclatants de couleurs vives évoquent aussi bien les crèches et les chambres d’enfants que les prisons imaginaires de Piranese ou le panoptique de Bentham : des univers carcéraux disséqués par Michel Foucault dans son essai Surveiller et punir, où le philosophe explique que ces utopies issues du XVIIIeme siècle avaient pour but d’instaurer un système répressif total, dont les premières victimes étaient les pauvres, considérés comme coupables de leur situation à l’aube de la Révolution Industrielle.
A lire également :The Laundromat : quand Soderberg s’attaque aux Panama Papers …
Un parcours initiatique ?
Est-ce à dire que le XXIeme siècle a accouché de cette horrible réalité ? Discrètement mais régulièrement, Squid game rappelle la hausse de l’endettement des ménages coréens. Surendettement non plus lié à une surconsommation délurée mais nécessaire à la survie quotidienne, et qui anéantit la liberté d’action et de choix des malheureux englués dans le piège du chômage. Réduits à l’anonymat, les puissants peuvent en faire ce qu’ils veulent, y compris les voir s’affronter dans des arènes modernes pour tromper l’ennui.
Notre destin à tous, à l’heure de la paupérisation galopante sur fond de surveillance numérique à 360° ? Étonnamment, ces jeux du cirque à la mode coréenne neutralisent les élans révolutionnaires de la plèbe ; pratiquement aucun des candidat de Squid Game ne se rebellera face à son sort. Comment le pourrait-il ? Il ne lui reste que cette solution pour s’en sortir. À moins que ? On ne sort pas indemne d’un pareil traumatisme … qui pourrait s’avérer un parcours initiatique vers l’âge adulte et la réaction. Ce qui nous vaudrait une saison 2 tout aussi accrocheuse que la première.
Et plus si affinités
Vous pouvez visionner la série Squid game en VoD sur la plateforme Netflix.