Parmi les feel good movies dont le visionnage devrait être prescrit par les médecins et remboursé par la Sécurité Sociale, Les Grands Ducs occupe une place de choix. C’est que, tournée en 1996, la comédie de Patrice Leconte n’en finit pas de faire rire aux éclats par son intelligence, sa légèreté, sa vivacité. Et son regard très juste sur la réalité du métier d’acteur.
Bien plus qu’un come-back
Au cœur de ce périple mémorable et déjanté, Eddie Carpentier, Victor Vialat et Georges Cox, trois acteurs vieillissants qui n’ont jamais percé malgré leur grand amour du théâtre : des « compléments » comme on dit dans le métier, autant dire des loosers de la scène. L’un court le cachet, le second vit mal sa retraite, le troisième a une réputation telle que plus personne ne veut l’engager. Le hasard faisant bien les choses, nos trois compères remontent sur les planches pour jouer les troisièmes rôles dans une pièce de boulevard de piètre qualité.
Direction la province pour roder le spectacle. De ville en ville, de théâtre en théâtre, nos trois loulous vont devoir affronter bien plus qu’un come-back, car le sort s’acharne sur chaque représentation, frappant Clara Milo, vedette sur le retour qui s’obstine à jouer malgré les trappes qui s’ouvrent sous ses pieds, les lustres qui lui tombent dessus. La fatalité… ou une main coupable ? En tout cas, le plein de fous rires devant des situations ubuesques portées par le trio Jean Rochefort/Philippe Noiret/Jean-Pierre Marielle, complétés par Catherine Jacob et Michel Blanc.
L’ambiance d’une tournée
À la sortie du film, les critiques ne furent pas forcément amènes. Dommage, car ce film au scénario inattendu se distingue par l’interprétation de ses acteurs, dont le plaisir est palpable (même si Noiret émit pas mal de doutes quant à son personnage, et que Blanc eut des difficultés à vivre l’agressivité presque psychopathe de son rôle). Il y aurait presque un petit côté Ionesco dans cette histoire : voir Marielle bondir du plateau pour secouer le metteur en scène afin de savoir pourquoi il doit rire est juste d’anthologie.
Autre intérêt du film : la focale sur l’ambiance d’une tournée, les contrats à décrocher à la force du poignet, la petitesse des cachets, la concurrence qui règne entre les acteurs de seconde zone, les tourneurs ruinés, l’ennui derrière d’improbables paillettes, le trac, le filage du texte, les amourettes de passage ou non, la peur de perdre l’attention du public, de vieillir, d’être « has been ». Et puis l’exultation, éphémère, d’être sous les projecteurs, d’entendre les rires fuser, de comprendre qu’on a conquis la salle.