Dans la guerre qui oppose les différentes plateformes VoD sur le front de la production cinématographique, Amazon vient de marquer le point avec Being the Ricardos. En relatant une semaine particulièrement agitée dans la vie de l’actrice Lucille Ball et de son époux Desi Arnaz, le réalisateur Aaron Sorkin revient sur une icône culturelle américaine, le premier grand sitcom de l’histoire médiatique, j’ai nommé I love Lucy. Et son approche, talentueuse et inspirée, dépasse de loin le propos anecdotique.
Les rouages d’un sitcom sociétal
I love Lucy : si le public français ignore tout ou presque de ce feuilleton, les Américains ont forcément apprécié le sujet. Durant les années 50, cette série télévisée a fait rire les foyers outre Atlantique, remportant un énorme succès : les aventures de Lucy Ricardo et de son mari chef d’orchestre font désormais partie intégrante de la pop culture. Au cœur de cette réussite, une héroïne faussement nunuche, décidée à devenir une star malgré les réticences d’un époux désireux de la verrouiller à la maison, d’où un enchaînement de gags qui ont enchanté les 180 épisodes de cette fresque comique.
Comique et sociétale : les deux personnages principaux sont un cubain d’origine et une femme en quête d’émancipation. C’est cette volonté de modernité que met en lumière Being the Ricardos, en nous plongeant dans les rouages d’un des premiers grands sitcom à succès, en apparence porteur des valeurs traditionnelles américaines, en vérité particulièrement avant-gardiste pour ne pas dire militant. Si elle joue les évaporées devant la caméra, Lucille Ball, interprétée par une Nicole Kidman rayonnante, s’avère une leading lady exigeante, une humoriste chevronnée qui maîtrise parfaitement les rouages du comique de geste et de situation.
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Une semaine de folie créative
Quant à Desi Arnaz, incarnée par un Javier Bardem extraordinaire, il se présente comme LE producteur qui va imposer la grossesse de son épouse à l’écran en dépit des réticences de ses sponsors, en un temps où on n’évoquait absolument pas ce sujet devant le public. Par la même occasion, il défend sa belle accusée d’être communiste en pleine chasse aux sorcières maccarthyste, et il le fait avec un brio sans égal, au terme d’une semaine de folie créative, où le couple et son équipe passent par tous les états émotionnels. Le vrai problème est ailleurs : dans le fonctionnement amoureux de ces deux caractères.
Ils s’aiment, ils s’adorent, ils se dévorent. Deux puissances, deux personnalités entières qui interagissent au quotidien, dans leur travail comme dans leur vie privée, mais pas pour les mêmes raisons : lui adule cette épouse qu’il trompe par ailleurs au su et au vu du tout Hollywood et de toute la presse à scandale, elle veut plus que tout accaparer ce mari volage par le biais de leur travail commun. Magnifiée à l’écran, leur relation s’effrite hors caméra. Cet amour hors normes survivra-t-il aux pressions d’une industrie fondée sur l’illusion ? C’est la véritable problématique du film qui confronte la vie rêvée de ces stars et les tensions vécues au quotidien.
Femme de tête et pionnière
Une astuce scénaristique pour saupoudrer ce récit d’une pincée de romantisme ? Nullement. C’est une histoire vraie qu’on nous raconte là, appuyée par le témoignage de plusieurs collaborateurs du duo, scénaristes, producteurs… Cette folle semaine synthétise aussi bien les trouvailles incroyables et les audaces narratives que les montagnes russes affectives que s’infligèrent ces amants aussi féconds que destructeurs. Deux génies qui brûlèrent leur passion dans cette aventure commune longue de sept années, qui se solda par leur divorce une fois la dernière saison terminée. Auraient-ils pu faire autrement, vu leur milieu professionnel et leurs profils ?
À ce titre, il convient de revenir sur le personnage de Lucille Ball : une femme de tête dans un monde masculin, qui refuse d’être considérée comme une poupée ou un objet sexuel. La séquence où elle négocie le lancement de I love Lucy, imposant ses choix et ses directives à des financeurs estomaqués par tant d’aplomb et de bon sens, en dit long sur la fermeté de la dame et son immense talent. C’est aussi l’occasion pour Sorkin de réfléchir sur la féminisation de l’industrie du spectacle et du divertissement, où les décideuses manquent cruellement. Lucille Ball apparaît ici non seulement comme une pionnière, mais aussi comme une porte-parole. Il était temps de s’en souvenir.