Que se passe-t-il quand un président en activité est rattrapé par les affaires de corruption dans lesquelles il a allégrement trempé quelques années avant son entrée à l’Élysée ? S’il veut gagner du temps sur Dame Justice et échapper à ses geôles, il n’a d’autre solution que d’être réélu. A n’importe quel prix. Un constat somme toute logique à partir duquel Jean-Hugues Oppel accouche d’un roman haletant et pas si fictionnel que ça intitulé French Tabloïds.
Souvenir d’un électrochoc
Ce n’est pas un hasard si le titre de ce sulfureux roman évoque un autre brûlot littéraire, le célèbre polar American tabloïds de James Ellroy, sorti en 1995 pour raconter par le menu et selon différents angles la montée des Kennedy à la présidence et leur chute spectaculaire sur fond de crise sociale majeure et de Sixties en mutation. Oppel, quant à lui, s’attaque aux relations qu’entretiennent les sphères occultes du pouvoir français avec des médias dédiés à la manipulation des masses. Le roman French Tabloïds sort en 2005, mais à chaque page, c’est notre actualité qui nous saute au visage.
Avec en filigrane une stratégie politique mortifère désormais inscrite dans les mémoires au fer rouge, confrontant un clan politique soi-disant centriste et un tribun d’extrême droite. Un électrochoc pour toute une population déjà traumatisée par les attentats du 11 septembre 2001 et la montée quotidienne de la délinquance. Un climat d’ultraviolence étalé en une des médias, sans aucune respiration possible. Psychose soigneusement entretenue par un cabinet de spin doctors qui orientent titres et éditoriaux, influent sur la presse écrite, la radio, la télévision, rappelant à l’ordre les journalistes qui sortiraient de cette ligne éditoriale ubuesque.
Stratégie de la peur et effet de saturation
Créer la peur, au besoin l’encourager, voire la déclencher : c’est ce que nous raconte un Oppel visionnaire, qui fusionne les destins d’un pauvre type oublié du système, perclus de dettes, passionné d’armes à feu et obsédé par la mort, une jeune flic végétant dans un commissariat de banlieue, une petite pute slave défenestrée, un ponte des Renseignements Généraux en charge des basses œuvres de l’État, un mystérieux manipulateur de conscience spécialisé dans la torture psychologique et les opérations de déstabilisation de l’opinion publique, trois consultants de l’ombre obéissant aux ordres venus d’un cabinet noir pour monitorer une élection dont l’issue est définie d’avance.
Entre chaque chapitre de cette intrigue pour le moins éprouvante, le lecteur mesure l’évolution des titres médiatiques, la façon dont les éléments de langage adoptés alimentent l’angoisse, orientent le mental, noient l’esprit critique dans des émotions extrêmes. Une stratégie de la saturation qui n’est pas sans rappeler les analyses de Noam Chomsky et Naomi Klein, et que Oppel dissèque avec une grande finesse, dans la grande tradition du polar à la française. Ce n’est pas pour rien que le roman débute sur une citation de Jean-Patrick Manchette : «le polar voit le mal dans l’organisation sociale transitoire». Une littérature de la crise donc, dont French Tabloïds est un pur produit.
D’une rare pertinence dans son analyse, la prose de Jean-Hugues Oppel n’a rien perdu de sa fougue et de sa justesse. Parue il y a une quinzaine d’années, l’approche du romancier demeure viable en une période où les politiciens disposent des réseaux sociaux et de l’IA pour pénétrer les attentes de la populace et les piloter à leur convenance et pour leur gratification. Il suffit de recouper la lecture de French Tabloïds avec le visionnage du film Brexit ou de la série Les hommes de l’ombre pour comprendre combien Oppel a visé juste, façonnant un roman qui vaut toutes les initiations à la real politique avec en prime une intrigue d’une rare efficacité. À lire absolument !
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