De Jean-Jacques Beineix, on retient habituellement le sulfureux 37°2 le matin. C’est oublier son premier long métrage, Diva, iconique à bien des égards et pierre angulaire de ce qu’on nommera plus tard « le cinéma du look », inspiré de l’esthétique très 80’s des clips musicaux et des spots de pub. Une appellation selon nous réductrice, car Diva est bien, bien plus que cela : un ovni esthétique, un récit poétique autant qu’un thriller prenant.
Un thriller prenant
Inspiré par un roman de Daniel Delacorta, Diva repose sur le personnage de Jules, jeune postier mélomane fou d’opéra en général et de la soprano Cynthia Hawkins, chanteuse mondialement connue qui a toujours refusé de graver sa voix sur un disque. Lors d’un concert, Jules transgresse cet interdit en piratant l’ensemble de la soirée via un magnétophone de pointe caché dans son sac. Ce que Jules ne sait pas, c’est qu’assis derrière lui, deux producteurs taïwanais l’ont vu faire, et ils vont tout faire pour récupérer cette bande et faire pression sur Cynthia afin qu’elle signe un disque sur leur label.
Ce que Jules sait encore moins, c’est que le lendemain, une jeune femme croisée dans une gare parisienne va glisser une cassette dans une des sacoches de sa mobylette avant de se faire tuer, une cassette sur laquelle elle dénonce une organisation mafieuse d’envergure. Ce que Jules n’imagine même pas, c’est la panade intégrale dans laquelle ces deux cassettes vont le plonger. Traqué par producteurs et malfrats, Jules va en plus jouer son avenir sentimental avec cette belle et indomptable diva, qu’il a trahie à son corps défendant.
Une fable synesthésique
De cette intrigue insolite, Jean-Jacques Beineix va faire un conte moderne à la fois hypnotique et envoûtant, une fable synesthésique où les sons et les couleurs se répondent, où la musique et le chant dialoguent avec la photographie et la poésie, où chaque plan se décline comme une œuvre d’art complète, qui convoque les forces du théâtre, de la littérature, de l’art lyrique, avec en plus une touche d’humour, une ironie douce qui contredisent ce suspense prenant sans le démystifier. L’alchimie est d’une rare puissance, servie par une armada d’acteurs prestigieux.
Il y a bien sûr la candeur désarmante de Frédéric Andréi dans le rôle de Jules, la voix exceptionnelle de Wilhelmenia Wiggins Fernandez qui interprète Cynthia et dont l’interprétation de La Wally est devenue légendaire grâce au film. Le casting implique par ailleurs Roland Bertin, Jacques Fabbri, Jean-Jacques Moreau, Gérard Darmon, Dominique Pinon, Richard Bohringer, une brochette d’acteurs qui deviendront des figures incontournables du cinéma français, de par leur talent, leur charisme, leur gueule.
Un charme inégalé
Diva se singularise donc par le choix de personnalités fortes jouant des personnages puissants et riches de contradictions, ou taillés d’un bloc, ainsi Alba (Thuy An Luu), la compagne du mystérieux Gorodish, adepte de la fauche de disques, de Rolex et de caviar, du roller en appartement et des jupes en plastique. Diva, c’est aussi des décors, des atmosphères, le loft destroy de Jules, paumé au milieu de carcasses de voitures, le gigantesque appart de Gorodish avec sa baignoire et ses éclairages au néon, la salle lépreuse du théâtre des Bouffes Parisiens…
Et puis il y a la musique, l’air de La Wally d’Alfredo Catalini donc, ainsi que les morceaux de la bande originale signée Vladimir Cosma, qui propose un éventail très divers d’ambiances, romantique avec « La promenade sentimentale », mystique avec « lame de fond », accordéon et guinguette avec « J’aime pas les ascenseurs »… L’ensemble distille un charme inégalé, une fascination toujours intacte après 40 ans, preuve du talent exceptionnel d’un réalisateur véritablement marquant, car entier.
Studio Beineix : l’art de la discipline, la discipline de l’art … une leçon de cinéma.
C’est ce qu’il faut retenir : Diva contient en germe ce qui fait la singularité de Beineix, un artiste complet, cultivé, sensible, visionnaire, qui refusera toujours de se plier aux conventions et aux tendances pour créer, innover, oser, déranger au besoin. Sorti en 1981, Diva tardera à trouver son public, aujourd’hui c’est une œuvre culte, caractéristique d’une certaine conception du cinéma d’auteur, fait pour susciter le trouble, le rêve autant que la réflexion.
Et plus si affinités