Une télévision française: la pièce fleuve écrite et mise en scène par Thomas Quillardet évoque la grande aventure de TF1 sur le chemin de la privatisation. 1986-1994 : une petite décennie et beaucoup de changements en profondeur pour le meilleur et pour le pire, comme le démontre avec intelligence cette pièce de théâtre aux accents épiques.
Les métamorphoses de TF1
Pour relater cette odyssée et ses conséquences médiatiques, Quillardet a plongé dans les archives de l’INA afin d’en reconstituer les différentes étapes. Contexte, atmosphère, mutations progressives, l’achat de TF1 en 1987 par Francis Bouygues, initialement grand patron du BTP, marque un tournant dans la mission et le fonctionnement de la petite lucarne. Et c’est ce que l’auteur met en relief avec autant de fidélité que de subtilité et de lucidité.
Tchernobyl, émeutes en banlieue, chute du mur de Berlin, exécution de Ceausescu, mort de Malik Oussekine, tandis que les temps forts de cette période défilent dans la bouche des présentateurs, la métamorphose de la rédaction du JT de TF1 s’accomplit sous nos yeux par petites touches aux lourdes répercussions. C’est que l’arrivée en fanfare de Bouygues et de son équipe à la tête d’une chaîne initialement de service public va changer bien des choses, notamment le souci d’objectivité des journalistes, qui se réduit notablement.
Vers la télé-poubelle
De même, la mission culturelle des programmes, pourtant assurée par l’équipe des acheteurs, passe à la trappe, la volonté d’informer est impactée par la direction qui oriente les sujets, misant sur des thématiques accrocheuses en terme d’audimat, mais sans aucune valeur informative pure, censurant certaines révélations gênantes liées à des annonceurs prestigieux (Danone par exemple). Plus aucun recul, immédiateté du propos, émotivité accrue, tous les ressorts de la télé-spectacle sont mis à jour, qui annoncent la télé-poubelle.
L’auteur donne à voir la manière insidieuse dont ce nouveau journalisme s’instaure comme une norme, ainsi que la logique marketing qui en propulse la logique. L’objectif n’est-il pas de fournir « du temps de cerveau humain disponible » aux annonceurs, selon le credo d’Étienne Mougeotte, vice-président de TF1, qui exprime ainsi la mission réelle de TF1 version privatisée ? La tournure, employée en 2004 dans l’ouvrage de Mougeotte Les dirigeants face au changement, résume crûment l’objectif de cette stratégie éditoriale qui flirte sans complexe avec l’abêtissement des masses.
Adieu la liberté de la presse
Si ces mots ne sont pas évoqués dans la pièce, le déroulé des épisodes de cette privatisation, antérieure au livre, en éclaire le cynisme de manière flagrante. C’est presque une masterclass sur les problématiques quotidiennes du journaliste que nous suivons ici : choix des sujets, captation, assemblage du reportage, mots employés, ordre de passage, rien n’est laissé au hasard dans l’élaboration de ce qui va devenir « la grande messe du 20 heures », enchâssée entre feuilletons idiots et publicités navrantes. Avec à la clé deux objectifs : faire de l’argent ; accumuler du pouvoir. Adieu la liberté de la presse.
Le propos est remarquablement servi par une équipe d’acteurs d’un rare dynamisme : Agnès Adam, Jean-Baptiste Anoumon, Émilie Baba, Benoît Carré, Florent Cheippe, Charlotte Corman, Bénédicte Mbemba, Josué Ndofusu, Blaise Pettebone, Anne-Laure Tondu… chacun endosse plusieurs rôles dans cette farandole menée à un train d’enfer dans des bureaux dont la disposition évolue au fil du temps pour plus de confort… et de contrôle. On appréciera particulièrement l’arrivée de Claire Chazal… ou le débat Bernard Tapie/Jean-Marie Lepen.
Un feuilleton théâtral
Des grands moments de télévision évoqués en frontal et depuis les coulisses, pour nous rappeler combien la télévision a pesé dans la mutation du paysage politique et social français. Durablement. La question de la dédiabolisation de l’extrême-droite est du reste clairement évoquée par une Anne Sinclair déterminée à ne pas accueillir le dirigeant du Front National. Qu’à cela ne tienne ; on trouve une astuce pour orchestrer ce qui va devenir un véritable carton d’audience dans l’historique de la chaîne. Édifiant et effrayant : car toute la contradiction est là. Où se situe la frontière entre information, débat et racolage ?
Bref ce spectacle est à voir. Absolument. Et la restitution qu’en fait Opsis TV ajoute un plus à la chose en séquençant les trois heures du spectacle en quatre épisodes de 45 minutes intitulés : « Tchernobyl à la rédaction », « Ça devait être Antenne 2 », « Une nouvelle direction », « C’est sauve qui peut, alors ? ». Un découpage parfaitement adéquat qui transforme la pièce en un feuilleton théâtral énergique à bingewatcher avec délice. Le format plaira aux jeunes à n’en pas douter, de même l’actualité du propos ; car au bout du compte, l’ère du social media n’est qu’un prolongement numérique des mutations de TF1 en machine politico-marketing. Ce que Une télévision française analyse avec acuité, ironie et un brin d’amertume.
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