C’était il y a quatre-vingt ans. Mais dans la tête des rescapés de la rafle du Vélodrome d’Hiver, c’était hier, c’est aujourd’hui, ce sera demain. Jusqu’à la mort. Et peut-être après, dans l’au-delà, s’il existe. Un enfer quotidien que cette mémoire tissée de peur, de souffrance, d’incompréhension, de colère, d’impuissance. Et ce sentiment terrible qu’après eux, personne ne se souviendra. Que cet épisode odieux tombera dans l’oubli. On a quelquefois polémiqué sur le « devoir de mémoire », trop lourd à porter pour les jeunes générations. Pourtant, c’est en évoquant le passé qu’on construit l’avenir ; à ce titre, transmettre ce que fut la rafle du Vel’ d’Hiv’ tient à la fois de la probité morale et de la plus élémentaire sagesse. Du défi également.
Nulle part où fuir
Quel est l’objectif ? Faire en sorte que cela ne recommence pas ? Ou bien rappeler que cela est arrivé et peut recommencer ? Tenter de secouer l’incrédulité commune ? Incrédulité : beaucoup parmi les juifs raflés les 16 et 17 juillet 1942 jugeaient impossible ce qui est toutefois advenu dans la France de Voltaire et de Zola. La France, patrie des droits de l’homme, ils l’avaient choisie, y avaient trouvé refuge pour échapper aux pogroms et au nazisme ; docilement, ils étaient allés se faire recenser, comme le demandaient les autorités françaises, parce que respectueux des lois, et pour nombre d’entre eux, anciens combattants. Ils participèrent ainsi sans même s’en rendre compte à l’élaboration d’un fichier dont Bousquet et ses sbires, sous les ordres de Laval et avec l’assentiment de Pétain, se serviront pour lister les personnes à arrêter, hommes, femmes, enfants, vieillards, à la demande des SS.
« Bêtes et disciplinés » comme l’explique une rescapée, tous avaient cousu l’étoile jaune sur leurs vêtements, signe indubitable de leur stigmatisation. Écartés de la vie publique, des postes à responsabilité, des commerces, ils avaient eu vent de la rafle des notables, assisté à celle du billet vert. À l’aube du 16 juillet 1942, quand les 4500 agents mobilisés (gendarmes, policiers en uniformes ou en civil, tous français) affectés à l’opération se déversent dans les quartiers de Paris et de sa proche banlieue pour y appréhender 37 000 personnes, cela fait une semaine que la rumeur court d’une rafle gigantesque. Des tracts de la Résistance ont circulé, des policiers ainsi que des membres de l’administration ont lancé l’alerte. On s’est prévenu entre voisins. Mais la plupart sont restés, n’ayant nulle part où fuir, sans argent, sans attache, et considérant la chose comme impensable.
Antichambres de l’enfer
Dans un chaos indescriptible, 13 000 personnes prendront le chemin des centres de rétention improvisés (commissariats, écoles, La Bellevilloise…) avant d’être embarqués au camp de Drancy pour les couples sans enfant et les célibataires, au Vélodrome d’Hiver, rue Nelaton, pour les familles. Deux antichambres de l’enfer, en sus des camps de Pithiviers et de Beaune la Rolande, escales obligées avant le départ pour les chambres à gaz d’Auschwitz. Et déjà la faim, la maladie, la crasse, l’épuisement, l’humiliation, la folie en marche. Indescriptible, inimaginable pour ceux qui ne l’ont pas vécu. À peine croyable au fil des témoignages de rescapés marqués à vie. Des rescapés qui progressivement disparaissent avec l’âge, la maladie. D’où la question du relais de cette mémoire par les générations suivantes.
Les historiens et les chercheurs ne manquent pas qui se consacrent à l’étude de cette sombre période, et publient leurs approches. Il y a aussi les films, les documentaires, les bandes dessinées, les lieux de mémoire… La tâche est lourde, complexe, sans fin :
parce qu’aujourd’hui encore, certaines zones d’ombre demeurent, les erreurs également, les secrets aussi ; longtemps, on a tu la responsabilité de la police française, impliquée directement dans les arrestations. Il reviendra à Jacques Chirac de dénoncer officiellement « l’irréparable » dans un discours désormais célèbre prononcé en 1995 lors de la commémoration de la rafle.
parce que les archives manquent, qu’on en retrouve au fur et à mesure, afin de compléter ce puzzle horrible, ainsi les fameuses fiches jaunes détaillant l’identité des personnes à arrêter ont été détruites.
parce que, s’il est complexe de recouper les informations, il est encore plus délicat de restituer les événements de manière objective, car cette même objectivité amènerait à annuler un élément essentiel de cette tragédie : les émotions extrêmes ressenties alors, par ceux qu’on a arrêtés, ceux qui ont pratiqué ces arrestations, ceux qui ont assisté impuissants à la rafle… Or ces émotions, colère, épouvante, désespoir, font partie intégrante de cette histoire.
Percevoir cette terrible vibration
S’il est important de partager, de diffuser cette mémoire, il faut en plus en restituer la terrible vibration. La lecture des historiens doit la laisser transparaître, sans qu’elle entame le recul nécessaire pour relater les faits et leur implication. C’est absolument essentiel… et cela suppose le croisement des sources : ne pas se contenter d’un film ou d’un documentaire, mais comparer les récits, leurs différentes formes. Parce qu’autopsier la rafle du Vel’ d’Hiv’ permet de saisir à la fois les mécanismes qui participent d’une machine génocidaire à l’échelle d’un continent et la puissance du traumatisme subi par ceux qu’elle broie. Ces deux visages sont indissociablement soudés.
Pour saisir ces deux facettes, voici plusieurs films à voir, livres à lire, expositions à visiter, dessins à contempler ; notre liste n’est pas exhaustive loin de là, mais elle constitue un socle de références que vous pouvez bien sûr compléter à votre façon.