Février 2020 : nous bouclons fiévreusement et avec une certaine délectation le visionnage de Narcos Mexico 2. La conclusion de notre chronique ? «Une fin de règne, une époque révolue, un effondrement total à la mesure du séisme qui emporta Mexico et fit basculer le pays dans une nouvelle ère guère plus bénéfique que la précédente« . Ce que la saison 3 confirme et dissèque de manière aussi frappante qu’inattendue.
https://youtu.be/2DuD-E6bF8o
Toujours les mêmes histoires
Une saison que nous mettons du temps à regarder. Désintérêt progressif pour cette violence banalisée, pour ces querelles de clans, ces intrigues répétées ? Au final, ces histoires de mafieux sont toujours les mêmes : une boucle sans fin de convoitises, de complots, de meurtres et de prises de pouvoir qui débouchent sur une chute programmée en taule ou au cimetière. Très shakespearien, tout ça ! Et un peu usant au final. On se lasse de tout, même des bains de sang. Du coup, nous lâchons le suivi de la saga narco-mexicaine pour aller vagabonder sous d’autres cieux culturels.
Et puis, on remet le nez dedans, à la faveur d’un été caniculaire où la chaleur nous transforme en légumineuses ramollos du bulbe. Incapables d’autre chose que de binge watcher en attendant une pluie qui ne vient pas, nous voici attaquant l’épisode 1 de cette saison 3 que nous avions boudée. Et d’emblée, le changement de rythme nous frappe. Lenteur, lourdeur, longueur : exit les scènes d’action, les affrontements tendus du slip, cet éclat, ce brio qui firent le succès des premiers chapitres, sa force de fascination.
Baby-narcos, arme au poing
Si les images, les lumières, les cadrages sont toujours aussi travaillés, si le générique est toujours aussi savoureux, le reste sent son déclin. Felix Gallardo sous les verrous, l’industrie du crime à la mexicaine semble avoir perdu de sa sanglante splendeur. Sans aucune surprise, chaque clan veut bouffer l’autre ; tout se passe dans le feutré, à l’ombre de la toute-puissante fratrie Arellano Felix qui s’appuie sur une nouvelle génération de trafiquants pour régner, ces baby-narcos issus de la jet set du cru, qui pavoisent en grosse bagnole et arme au poing sans se soucier d’une opinion publique muselée par la terreur.
Notre première réaction ? Poussif, plat, chiant. Un filon narratif qui se tarit, du réchauffé à la mode Netflix. Nous envisageons de stopper le visionnage (eh oui, cela nous arrive) mais une petite bête qui s’appelle conscience ou flair, allez savoir, nous susurre de persister. Peut-être la lecture d’autres critiques négatives, peut-être des signaux épars dans ce début de récit à la traîne, peut-être une connaissance antérieure de la situation via des documentaires et des bouquins… nous continuons à regarder ces épisodes où la violence ne surgit plus que par spasme, quand elle saturait le début de cette fresque.
Narcos Mexico : un dealer mexicain basanééééééééééééééééééé !
Un chaos qui ne dit pas son nom
Il n’y a pas de hasard : si le rythme ralentit, si la fadeur s’installe, c’est en écho avec la réalité des faits, racontée en voix off par une jeune journaliste qui explique, étape par étape, comment son pays sombre dans une dictature qui ne dit pas son nom. Le roi est emprisonné, vive le roi ? La passation ne va pas se faire si facilement. Amado Carrillo Fuentes, El Chapo, lequel va s’imposer ? Et surtout comment ? Ici, le calme ne précède plus la tempête, la tempête est devenue quotidienne, normale, presque un réflexe, une habitude.
C’est cette banalisation coupable que décrypte la saison 3, en dévoilant les ressorts pervers qui font basculer tout un pays et sa population dans une zone de non droit. Cette décomposition apparaît plus spécifiquement dans le chaos de villes frontalières ravagées par les règlements de compte, les meurtres, l’exposition des corps démembrés. Ajoutons-y les rapts, les disparitions, les viols, les féminicides, un quotidien d’atrocités, Tijuana et Ciudad Suarez, lieux de transit de la drogue vers les USA, reflètent l’état de délabrement d’un pays mis en coupe réglée par ses élites.
Garder la lumière allumée
Une narco-puissance où règne la loi du plus fort, où Mr Tout le Monde est réduit à l’état de bétail consentant et muet. Qui alors pour faire opposition ? Des agents de la DEA dépassés par l’inertie et l’immoralité des pouvoirs en place ? Les journalistes de médias indépendants, immédiatement menacés dès qu’ils font mine de fouiller dans les archives pour dénoncer la corruption ambiante ? Les rares policiers encore dotés d’une conscience qui enquêtent comme ils peuvent sur la disparition de dizaines de gamines dont on retrouve les corps suppliciés jetés dans des charniers comme s’il s’agissait d’ordures ?
C’est là que la saison 3 prend toute sa valeur : elle met parfaitement en perspective la sclérose du système, sa profonde putréfaction et sa capacité à camoufler ses vices sous le visage de l’intégrité. Le sentiment d’impuissance est flagrant, pour faire plier ces gens, la vindicte populaire ne suffit pas. Il faut plus : une action concertée, fondée sur une information structurée. Don Quichotte face aux moulins à vent ? Ou David contre Goliath ? Quand la jeune journaliste se demande pourquoi ils prennent tant de risques à dévoiler une vérité que personne ne veut voir, son rédacteur en chef lui répond : “on garde la lumière allumée”.
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C’est un peu ce que fait Narcos Mexico. Garder la lumière allumée, mettre en lumière une logique, décrypter la manière dont on peut faire sombrer un pays dans un état latent de barbarie, où les plus forts écrasent les plus faibles.
Et plus si affinités
La troisième saison de Narcos Mexico est disponible sur Netflix.