Léonie est en avance : avec cette comédie courte comme lui seul sait en composer, Feydeau s’attaque au mal joli pour en faire un tableau désopilant. Avec Antonin Chalon à la mise en scène, la chose prend des allures de récit épique, de fable sanglante.
Accouchement, un calvaire marital
Ainsi donc, Léonie est enceinte, jusqu’aux yeux, prête à éclater. Ce qu’elle fait avec un mois d’avance. Toudoux, son époux au patronyme on ne peut plus adéquat, voit donc rappliquer chez lui, des beaux-parents issus de la haute société qui n’ont toujours pas digéré la mésalliance de leur progéniture avec ce roturier, et une sage-femme au langage de sergent-major, qui prend en main les opérations. Seulement voilà : les choses ne vont pas se passer comme prévu. Un vrai calvaire pour le mari.
Déjà, ce pauvre Toudoux doit subir les sautes hormonales de son épouse, qui alterne câlins, exubérances et critiques à une cadence infernale. Patient et attentionné, il se plie en quatre pour faire oublier ses contractions à Léonie qui se lâche complètement, à l’heure de mettre bas. Avec Feydeau à la plume, on image ce que cela peut donner, surtout quand la belle-mère s’en mêle, avec dans son sillage un père imbu de son titre, une bonne complètement sotte et une sage-femme aux allures de bouchère.
Entre Grand-Guignol et absurde à la Ionesco
Le mal joli en prend un coup, et le regard attendri sur la maternité également. Soyons clairs : Léonie, ça pourrait être la Yvonne de Feu la mère de Madame, la Julie de On purge Bébé ou la Clarisse de Mais ne t’promène donc pas toute nue. Un seul et même profil de femme, bourgeoise bien installée dans sa vie d’épouse et de femme au foyer, censée seconder la carrière de son mari, mais qui lui pourrit la vie de ses caprices et de sa bêtise. En résumé, une emmerdeuse !
Avec en prime un talent prononcé et un brin pervers pour cultiver le complexe d’Œdipe de son enfant qu’elle gâte au-delà de toute mesure. Léonie prête d’accoucher, c’est une mère louve et possessive en devenir qui castre son époux un peu plus à chaque scène. Féministes, passez votre chemin, les répliques de Feydeau vont vous hérisser le poil. Et ne comptez pas sur la mise en scène d’Antoine Chalon pour atténuer le trait, bien au contraire. Ce dernier entraîne l’auteur du côté du Grand-Guignol et de l’absurde à la sauce Ionesco.
Orgie sanglante et chaos familial
Avec lui, l’accouchement de Léonie tourne au carnage, à l’orgie sanglante et à l’invasion d’aliens. Au rituel sectaire ? Tandis que ces dames se pressent dans le gynécée pour épauler la parturiente sur son lit de souffrances, ces messieurs sont exclus de ce grand mystère de la vie. Cantonnés aux limites du salon, réduits au rang de reproducteurs par des femelles hystériques dans tous les sens du terme. Ils s’occupent comme ils peuvent et en profitent pour régler leurs comptes… et fantasmer sur une vie sexuelle épanouie ?
Chalon s’amuse et nous avec de ce chaos familial qu’il traduit avec un sens assez tordu des circonstances. La naissance de l’enfant comme un fracas dans le couple, une mutation définitive des rapports de forces, la femme amante transformée en mère va-t-elle perdre son charme pour devenir une harpie comme sa propre mère ou son accoucheuse ? Chalon laisse planer le doute, en jouant avec les attirances sexuelles de ses personnages. Particulièrement dynamique, sa vision jongle avec la commedia dell’arte pour des moments de pur délire, qui explose le peu de glamour que Feydeau avait pu conserver (par inadvertance) concernant le mal joli.
C’est à la fois jouissif, décalé… et très juste. L’occasion une fois encore de démontrer l’actualité des pièces de Feydeau, qu’on ne peut plus cantonner désormais au seul cercle humoristique du vaudeville.
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