Le nouveau bébé griffé Netflix fait décidément couler beaucoup d’encre. À peine sortie sur l’incontournable plateforme, cette troisième adaptation de A l’Ouest, rien de nouveau attire les éloges comme les critiques. Histoire poignante pour les uns, regrettable esthétisation de la violence pour d’autres, énième critique des horreurs de la guerre pour la majorité avec un brin de nonchalance dans ce constat. C’est oublier justement que la guerre est horreur, et cette version le rappelle très justement, ce qui n’est jamais un luxe.
Une histoire navrante, horrifique, traumatique
À l’Ouest, rien de nouveau : lire le roman de Erich Maria Remarque m’a salement impactée. Les scènes d’atrocité y pullulent, d’autant plus réalistes et détaillées que l’auteur a lui-même pataugé dans les tranchées, survivant à la Grande Boucherie de 14-18 pour s’affirmer comme un anti-militariste convaincu. Une position qui lui vaudra la haine des nazis, qui s’empresseront de brûler ce livre pourtant célébré aux quatre coins du monde. Remarque devra du reste trouver refuge aux USA pour éviter d’être buté par les sbires d’Hitler. C’est dire la portée de ses mots, de cette histoire navrante et horrifique, dont Edward Berger propose une adaptation particulièrement traumatique.
«Ce film est… Violent, Sombre», «-16 violences, suicide» : merci Netflix pour ces avertissements qu’on qualifiera d’euphémisme dés la première séquence qui nous plonge dans un bain de sang. Un assaut parmi tant d’autres, d’une brutalité incroyable, où le soldat passe du stade d’humain à celui de… d’animal ? De prédateur ? De monstre ? De quoi au juste ? Il n’y a pas de terme adéquat pour exprimer cette régression express, qui mêle sauvagerie et folie. De séquence en séquence, le réalisateur nous fait vivre cette dégénérescence effrayante par les yeux d’un jeune engagé, Paul Kammerer, dont l’enthousiasme patriotique largement alimenté par ses professeurs va se fracasser sur l’atrocité d’une première nuit de tranchée.
Des étiquettes dans la poussière
Je passe sur les détails, le film est d’un réalisme impitoyable qui oppose la démence quotidienne de ce massacre à ciel ouvert et le feutré luxueux des négociations politiques menées cahincaha pour enfin signer l’arrêt de ce conflit ô combien meurtrier. Le compte à rebours est lancé : pendant que Matthias Erzberger, secrétaire d’État centriste, fait des pieds et des mains pour convaincre l’état-major prussien de stopper les frais et les Français d’accepter quelques concessions, les morts s’entassent. Par milliers. Des tombereaux de gars qui n’avaient rien demandé et dont les uniformes déchiquetés, gorgés de sang et de merde, sont lavés et rapiécés afin d’habiller la prochaine fournée de bidasses à peine sortis des jupons de leur mère pour aller crever sous la mitraille.
Et quand Paul, étonné de voir le nom d’un autre étiqueté sur le col de sa vareuse, interroge l’officier qui vient de l’équiper, ce dernier se contente d’arracher la dite étiquette qui en rejoint d’autres dans la poussière du parquet. Circulez, il n’y a rien à voir, rien à dire, allez vous faire défoncer le crâne pour le bien de la mère patrie, « Deutschland uber alles » ! De la chair à canon donc, pour le coup, l’expression est on ne peut plus juste. Ces gamins idéalistes, dont certains sont encore puceaux, vont devoir grandir très vite, tuer pour ne pas être tués, puis mourir. Vite. Les combats dureront jusqu’à la dernière seconde, ordonnés par la frénésie d’officiers qui ont été dressés pour la guerre et rien d’autre.
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Porter le poids de la honte
C’est la tragédie ici racontée, écœurante, insupportable, intolérable. Car inutile. Exagérée ? Certes non. Il suffit de visiter le musée de la Grande Guerre de Meaux pour constater la précision de cette reconstitution, armes, lance-flammes, pelles tranchantes, chars… et partager un peu plus la terreur ressentie par Paul et ses compagnons piégés dans ce labyrinthe infernal et absurde. Vibration supplémentaire, le film est réalisé par un Allemand, tourné avec des acteurs allemands. Or en Allemagne, le livre de Remarque est considéré comme l’expression d’une honte générale, la conscience d’une responsabilité indéniable dans ce processus de destruction. Cette adaptation sans concession en porte le poids, la malédiction.
Fruit du progrès technologique (usage des gaz, des avions, des bombes, des mitrailleuses…), la Grande Guerre accouche du XXe siècle dans un torrent de sang. Elle résulte des haines passées, annonce les conflits à venir, devient de fait un reflet fidèle de toutes les guerres, avec leur cortège d’atrocités. Ukraine, Congo, Burkina Faso, Cameroun, Soudan, Yémen, Éthiopie, Myanmar, Syrie, Haïti… les affrontements sont partout, dont on ne parle pas forcément en une des journaux. À l’Ouest, rien de nouveau arrive à propos pour nous rappeler que rien n’est acquis, que la folie meurtrière peut très vite se réveiller et prendre un visage terrifiant. Pas besoin de voir un film fantastique pour trembler : la réalité suffit, et c’est bien ça le drame.
Et plus si affinités
Vous pouvez visionner le film À l’Ouest, rien de nouveau sur Netflix.