Alors que nous venons tout juste de refermer l’excellent roman policier Alfie de Christopher Bioux, la comparaison avec le livre Dans la Google du loup s’impose comme une évidence. Une évidence angoissante. Et pour cause, si Alfie est une fiction, elle est ancrée sur des faits réels que l’enquête de Christine Kerdellant décortique sans pitié. Et c’est pourquoi les deux livres gagnent à être parcourus en parallèle.
Prendre le contrôle des hommes et des âmes
Publié en 2017, Dans la Google du loup épluche par le menu le fonctionnement de l’ogre Google. « Ogre » est le terme le plus approprié pour désigner ce géant technologique, dont l’initiale inaugure l’acronyme désormais célèbre des GAFAM. Journaliste spécialiste des médias, directrice de L’Usine nouvelle et de L’Usine digitale, aborde les différentes facettes de ce projet dantesque qui vise ni plus ni moins à dissoudre complètement l’idée de vie privée pour faire basculer le monde dans un système à la Big Brother version planétaire.
Prendre le contrôle des hommes et des âmes pour imposer de force une vision parfaite du monde selon Larry page et Sergey Brin : c’est l’objectif avec à la clé la surpuissance de l’intelligence artificielle pour améliorer notre santé, notre longévité, notre éducation, notre survie, notre épanouissement quitte à dicter nos choix, nos modes de vie… et nous éradiquer si nous ne sommes plus viables ? Cela semble dystopique, et pourtant ce processus de colonisation est en marche.
Winston et Julia face à Google
Spécialiste de l’évasion fiscale, Google s’infiltre partout, rachetant les start-up prometteuses dans tous les secteurs pour diversifier ses activités, étouffer la concurrence potentielle, mettre des bâtons dans les roues des rivaux Amazon et Facebook. À la clé, la gestion de milliards de données, une main mise sur la visibilité des entreprises et leur réussite, le contrôle des processus d’élection… et pourquoi pas l’émergence de surhommes augmentés et connectés, pour ceux qui pourront se payer ces services ? Les autres ? Des sous-humains condamnés à la transparence et à l’oubli.
Christine Kerdellant va-t-elle trop loin ? On aimerait, mais en bonne enquêtrice, elle étaye ses propos de chiffres, de sources, de citations, d’articles. Très bien documentée, son approche alterne un exposé très clair de la situation et une projection dans la vie de Winston et Julia. Deux amants devenus époux puis parents puis grands-parents… le temps d’une vie, nous les voyons, de chapitre en chapitre, de plus en plus connectés, envahis, soumis à Google qui investit leur quotidien, leurs pensées, leurs émotions. Et cela ne fait guère envie.
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Cette astuce permet au lecteur, en s’identifiant à ces deux personnages, de mesurer l’impact délétère d’un géant technologique dévorateur, bien décidé à façonner un univers libertarien à sa convenance, quitte à nous écraser. On aimerait que ce soit de la fiction, mais Kerdellant se charge de vérifier point par point chaque élément, en l’ancrant dans une réalité qui s’avère sordide et dictatoriale. À méditer rapidement, pour se positionner, car c’est en train de se mettre en place.