Faisons écho au roman La Chambre des diablesses d’Isabelle Duquesnoy en creusant un peu plus l’affaire des poisons. Ce n’est pas la première fois que nous en parlons dans nos colonnes, puisque nous avons jadis chroniqué le film L’affaire des poisons d’Henri Decoin, sorti en 1955. Mais ce véritable scandale d’état mérite une exploration plus approfondie, car il recèle encore bien des mystères. Pour ce faire, la consultation de plusieurs livres/documentaires/podcasts s’impose.
L’affaire des poisons, mais encore ?
Et surtout pourquoi ? Pourquoi s’intéresser à ce dossier aussi sordide qu’épineux ? Eh bien parce que justement, il est sordide et épineux.
Sordide car au fil de cette enquête menée par un lieutenant général particulièrement assidu :
- on va mettre à jour un réseau très structuré d’avorteurs/sorciers/empoisonneurs/satanistes particulièrement actifs sur la place de Paris ;
- on va découvrir que la nombreuse clientèle de ce réseau se compose de toutes les classes sociales, y compris et surtout de membres de la haute bourgeoisie parlementaire et de l’aristocratie ;
- que parmi cette clientèle se trouvent des proches de Louis XIV, sa maîtresse en titre, la marquise de Montespan, ainsi que des princesses, des duchesses, des maréchaux…
- que cette prestigieuses pratique n’hésitait pas à demander la fabrication de coûteux poisons pour se défaire d’un mari trop gênant, d’un parent trop lent à décéder…
- que certains allèrent jusqu’à commanditer des messes noires avec sacrifices d’enfants, afin d’assouvir leur besoin de gloire, leurs appétits amoureux, leur folie d’enrichissement et de reconnaissance sociale.
Sordide donc, au-delà de l’imaginable. Épineux également, car l’enquête fut complexe à plus d’un titre :
- Il a fallu gérer un nombre important de prévenus, les écrouer, les interroger, recouper les dépositions, organiser les confrontations, sans aucun des moyens modernes dont dispose aujourd’hui la police.
- Et s’y retrouver dans ce flot de révélations immondes déversé lors d’interrogatoires sous la torture, et démêler le vrai du faux, ce qui n’était pas évident face à des individus exaltés, rusés et rompus aux techniques de manipulation et d’escroquerie.
- Tout en composant avec les exigences et les tergiversations royales, les rivalités ministérielles, la morgue aristocratique, la chape de plomb du secret d’État qui va s’abattre sur une enquête de fait enterrée sans que justice soit faite ouvertement.
Différentes références à consulter pour une perception plus complète
Louis XIV voulait étouffer le scandale qui menaçait d’éclabousser son trône. Mais quatre siècles plus tard, l’affaire des poisons continue de fasciner et d’interpeler. La preuve avec ces différentes références, produites au fil des ans avec une régularité significative, qu’il convient de consulter, de comparer, de confronter pour avoir une perception, sinon plus claire, du moins plus complète d’une affaire qui dépasse de loin le cadre purement judiciaire pour questionner le fonctionnement d’un pouvoir politique aveugle et d’une société sclérosée, d’une rapacité telle que l’usage du poison, le meurtre d’enfant y était banalisé, consenti sans scrupules.
La Marquise des ombres – Roman et téléfilm
Nous ne manquons pas de romans inspirés par ces événements terribles. Qu’il s’agisse de parcourir le très beau, très célèbre et très horrifique roman de Catherine Hermary-Vielle paru en 1985 ou son adaptation en téléfilm par Edouard Niermans daté de 2010, La Marquise des ombres s’impose d’entrée pour saisir les prémices de l’affaire des poisons. Car si la marquise de Brinvilliers n’avait pas été appréhendée, questionnée, condamnée, exécutée, on n’aurait jamais eu vent de ce commerce généralisé de poisons ni de l’usage intensif qui en était fait. La belle Marie-Madeleine fut la première à tomber dans cet effroyable jeu de dominos. Mais pourquoi cette jeune femme a-t-elle commis l’irréparable, empoisonnant, son père, ses frères ? C’est ce que raconte Hermary-Vieille avec une plume incomparable, plantant ainsi un destin de femme d’exception, dont on ne sait si elle fut victime, rebelle, libertaire, sous influence ? Ou tout à la fois ?
« Le Drame des poisons » – Épisode 13 deLa caméra explore le temps
On ne présente plus la mythique série télévisée La caméra explore le temps. Showrunnée avant l’heure par le trio Stellio lorenzi – André Castellot – Alain Decaux pour raconter les épisodes marquants de l’Histoire de France, cette émission emblématique consacre son 13e épisode à l’affaire des poisons, avec un casting à la hauteur où se singularisent Claude Gensac dans le rôle de la Montespan, Michel Piccoli dans celui du ministre Louvois, François Maistre dans celui de La Reynie, Julien Bertheau en Louis XIV, Maria Meriko en La Voisin. Optant sur un récit en flashback, « Le Drame des poisons » dresse les grandes lignes de l’enquête, avec une voix-off pour relier ces différents temps forts qui alternent les interrogatoires musclés de La Reynie, les visites de la Montespan chez la Voisin, les prises de consciences horrifiées du monarque. Cette approche en noir et blanc demeure d’actualité, et permet de saisir les rouages de cette affligeante histoire.
L’affaire des poisons vue par Franck Ferrand
Il aurait été étonnant que ce passionné d’histoire ne jette pas son dévolu sur l’un des mystères les plus prenants de notre passé commun. Il y a consacré :
- un chapitre de la série documentaire L’ombre d’un doute;
- un volet de Au coeur de l’histoire : l’affaire des poisons.
Télévision ou radio, son approche est à la fois précise dans les faits, illustrée de documents et de témoignages de spécialistes et d’auteurs ; élaborée dans le sillage de l’exposition Venenum, l’émission de radio apporte un éclairage passionnant sur la fabrication des poudres de succession et autres potions de mort.
L’affaire des poisons selon Annette Lebigre, Claude Quetel et Jean-Christian Petitfils
Ces trois historiens, professeurs et chercheurs apportent un regard d’une précision chirurgicale sur les événements, s’appuyant sur archives et documents, tout en posant le contexte, en replaçant l’affaire dans une période déterminée.
- Avec L’Affaire des Poisons, Crimes et sorcellerie au temps du Roi-Soleil édité chez Perrin en 2009, Jean-Christian Petitfils interroge, entre autres, la culpabilité de la Montespan : fut-elle coupable d’avoir empoisonné la jeune duchesse de Fontange, sa rivale dans le coeur du roi ? Son analyse met en évidence le vent de panique déclenché par cette affaire, les réactions engendrées, le climat régnant à la Cour et à Paris.
- Claude Quetel en 2021 publie L’Affaire des Poisons – Crime, sorcellerie et scandale sous le règne de Louis XIV. Il offre une lecture chronologique de l’affaire avec un point de vue très précis sur ses ramifications. Ce faisant, il fait état d’une prise de conscience progressive de la part du pouvoir en place, et de son action pour gérer le phénomène d’un point de vue judiciaire.
- Annette Lebigre, avec 1679 – 1682 L’Affaire des Poisons offre un regard plus vaste, plus sociétal : tout en relatant les différentes étapes de ce dossier sulfureux, elle interroge le rapport entre religion et sacrilège, tente de comprendre comment les empoisonneurs issus du peuple, entrent en contact avec leur noble clientèle ; elle donne ainsi à voir une époque où les mentalités n’ont pas progressé, où les croyances issues du Moyen Âge sont encore très vives.
Une affaire vieille de 300 ans, mais qui continue de déchaîner les passions et les imaginaires ; des ouvrages, des films, des séries qui continuent de broder sur ce mystère… L’affaire des poisons, de par sa complexité, appelle la confrontation des sources et des analyses, avec à la clé une problématique centrale : comment, dans ce XVIIe siècle voué à l’usage de la raison, qui prend comme modèle l’honnête homme équilibré et plein de bon sens, où les beaux esprits règnent sur le monde intellectuel, a-t-on pu en arriver à pareille situation, à pareille régression ? La question, insoluble, nous renvoie immanquablement à nos propres démons.