Excentrique ? Amoureuse ? Nymphomane ? Masochiste ? Perverse ? Avant-gardiste ? Libertaire ? Quel adjectif convient le mieux pour désigner la personnalité de Peggy Guggenheim ? Ce qui est sûr, c’est que sans cette richissime Américaine, l’art moderne aurait peiné à s’imposer. En témoignent les pages prenantes de la biographie Peggy Guggenheim – Un fantasme d’éternité.
Une vie de frasques et d’art
En 300 pages aussi dynamiques et échevelées que la collectionneuse dont elles racontent l’étonnant parcours, Véronique Chalmet dresse le portrait d’une millionnaire dont l’exubérance s’ancre dans les traumas de l’enfance : un père disparu corps et âme avec le Titanic, une mère ultra-anxieuse, un physique ingrat… Peggy ne manque guère de névroses, qu’elle va alimenter avec une certaine volupté doublée d’un besoin de liberté que sa fortune lui autorise. Quant aux codes sociaux de sa caste, elle va les balancer par-dessus les moulins pour embrasser une vie de bohème particulièrement intense.
Croqueuse d’hommes, elle multiplie les conquêtes, s’attachant ces messieurs de par le confort financier qu’elle leur apporte. Laurence Vail, John Holms, Samuel Beckett, Max Ernst, voici quelques-uns de ses trophées, sur une très longue liste d’amants qu’elle affiche sans vergogne, exhibant sexualité débridée et scènes de ménage avec un sens égal de la mise en scène. En parallèle de ces frasques, il y a l’art. La peinture, la sculpture, l’abstrait… une révélation, une passion, une source d’équilibre dans cette tourmente émotionnelle.
À lire également :
- La saga Maeght : « L’art n’est pas tiède »
- Les cinq vies de Lee Miller : histoire d’une émancipation
- La femme qui pleure au chapeau rouge : Picasso en téléfilm… Dora Maar en héroïne ?
Un sens certain du talent
Très habilement, l’autrice de cette magnifique biographie ne cache rien de la vie intime de Peggy Guggenheim, car c’est le pendant logique à sa carrière de collectionneuse et de galeriste. Les deux visages se superposent, les deux existences se chevauchent, s’imbriquent, dialoguent entre elles. Autour de cette femme hors normes, on trouve pléthore de génies, tous les grands artistes du XXe siècle, d’autres muses par ailleurs, des critiques, de très grands esprits. Et partout une folie esthétique, un besoin obsessionnel de séduire, des existences blessées, déchirées.
Ces relations pour le moins complexes, ces égos malmenés font écho à l’émergence d’une nouvelle manière de créer, de restituer une perception inédite de la réalité, dans un climat contradictoire de progrès et de très grande violence. Prise dans la Seconde Guerre Mondiale et l’Occupation, Peggy Guggenheim met du temps à réaliser la catastrophe et à s’en extraire, protégeant en priorité ses tableaux et les artistes qu’elle connaît. Aussi décalée soit elle, l’existence de Peggy Guggenheim dévoile par ailleurs la lente formation d’une amatrice d’art éclairée, qui n’a cessé de faire évoluer ses connaissances et ses collections, avec un sens certain du talent à l’œuvre dans chaque pièce acquise.