Certes, la série Esterno Notte et le film Buongiorno Notte nous ont beaucoup impressionnés. Mais force est de constater que, si un Italien va immédiatement tilter sur ce sujet qui fait partie de son patrimoine, un Français n’a pas forcément les clés pour saisir la portée sismique de la marche au martyre d’Aldo Moro. En conséquence, nous avons voulu rassembler d’autres sources afin d’éclairer la lanterne de ceux qui voudraient en savoir plus et comprendre les enjeux, les forces) l’œuvre dans cet affrontement macabre. Voici les documentaires et les films que nous vous conseillons de regarder pour vous y retrouver… et mesurer l’ampleur de cette crise, son impact profond, ce qu’elle dit du pouvoir.
L’affaire Aldo Moro
Première étape : zoomons sur l’affaire Aldo Moro en elle-même. Enlevé le 16 mars 1978 en plein Rome, le président de la démocratie chrétienne est retrouvé mort 55 jours plus tard, tué de douze balles, dans le coffre d’une Renault 4 rouge. Les images sanglantes des cadavres de ses gardes du corps, celles de sa dépouille ont traumatisé la population italienne, l’opinion internationale. Questions : comment a-t-on pu en arriver là ? Pourquoi cet homme, partisan du dialogue, prêt à dialoguer avec le PCF, a-t-il été abandonné à son destin ?
Car c’est ce qui ressort des différentes approches historiques. Ses amis politiques, son parti l’ont abandonné, refusant de négocier avec des terroristes rapidement piégés, acculés à l’obligation soit de relâcher Moro sans contrepartie, soit de l’exécuter. Une manœuvre délibérée visant à en faire un martyre, avec à la clé la désintégration des Brigades rouges et l’avortement de l’alliance avec les partis de gauche ? Il semblerait, et c’est absolument atroce à envisager. Pour vous en convaincre, consultez ces deux sources, aussi passionnantes que construites et étayées de documents, d’archives et de références.
Les derniers jours d’Aldo Moro – Emmanuel Amara – 2006
Avec ce documentaire d’une heure environ, Emmanel Amara évoque la chronologie de l’affaire Moro, en y insérant le témoignage des différents acteurs de cette tragédie moderne : plusieurs figures politiques, une des filles de Moro, deux des terroristes impliqués… et un ancien agent de la CIA qui détaille son rôle de consultant et comment il est intervenu pour contrer les Brigades rouges et les acculer au meurtre afin de les discréditer. Le tout vaut une leçon de stratégie effrayante, où la vie d’un homme est sacrifiée aux intérêts d’une caste.
L’affaire Aldo Moro – Philippe Foro – 2021
Historien spécialisé dans l’histoire moderne de l’Italie, auteur d’ouvrages dédié à la question, Philippe Foro est par ailleurs maître de conférences d’histoire contemporaine à l’Université Jean-Jaurès de Toulouse. C’est dans ce cadre qu’il a édité une conférence sur la chaîne Youtube de la faculté, conférence consacrée à l’affaire Aldo Moro, son contexte, ses origines, son déroulement, ses implications, ses retombées. Son propos est illustré, appuyé d’exemples et d’archives ; il est surtout structuré selon un plan qui permet de s’extraire de l’horreur de la situation pour en embrasser les ramifications et les enjeux avec une vision rationnelle.
Les Années de plomb
Impossible de parler de l’affaire Moro et d’en comprendre la nature sans évoquer le contexte plus large des Années de plomb. Durant les années 70, l’Italie est le théâtre de luttes sociales particulièrement violentes. D’un côté, la Démocratie chrétienne tient le pouvoir depuis 30 ans, de l’autre, la gauche, Parti Communiste en tête, veut intervenir dans la gestion du pays. Grèves et manifestations s’enchaînent, violemment réprimées. Dans le même temps, les attentats se multiplient, orchestrés par l’extrême-droite afin de discréditer la gauche, jugée responsable. La stratégie de la tension s’installe, dont Moro fera les frais, tandis qu’une faction de l’extrême gauche se radicalise, passant dans la clandestinité afin d’accoucher des Brigades Rouges.
Les Années de plomb, une tragédie italienne – Nicolas Glimois – 2016
Depuis l’attentat de Piazza Fontana à Milan en 1969 jusqu’au massacre de la gare de Bologne en août 1980 en passant par l’enlèvement et le meurtre d’Aldo Moro en 1978, Nicolas Glimois, avec le documentaire Les Années de plomb, une tragédie italienne met en exergue le traumatisme profond que constitue cette décenie dans l’inconscient collectif italien. Menace de coup d’État, opération « Gladio », loge P2, assassinat de Passolini, ce récit atroce met en évidence les manœuvres mises en place par un régime inique pour garder le contrôle, coûte que coûte. Quitte à sciemment mettre en danger la sécurité des citoyens, car la stratégie adoptée est : « déstabiliser l’ordre public pour stabiliser l’ordre politique ».
Les Années de plomb en Italie – Philippe Foro – 2021
Toujours dans le cadre de ses interventions en tant que maître de conférences d’histoire contemporaine à l’Université Jean-Jaurès de Toulouse, Philippe Foro a dédié une conférence complète à ces Années de plomb meurtrières. Très détaillé, son exposé met en avant une chronologie très précise, un nombre de faits incroyables qu’il exhume des colonnes des journaux et des documents officiels pour éclairer le chaos qui régnait alors, la logique d’escalade qui se met en place.
Les Brigades rouges
On ne peut comprendre l’enlèvement d’Aldo Moro et les Années de plomb sans prendre en compte la position des Brigades rouges avec une question cruciale : pourquoi embrasse-t-on la lutte armée ? dans quel cadre ? Comment en arrive-t-on là ? Voici quelques éléments de réponse, qui dépassent de loin le cadre de l’Italie.
Ils étaient les Brigades rouges – Mosco Levi Boucault – 2011
Construit en deux parties, « Le vote ne paie pas » et « La révolution n’est pas un dîner mondain », le documentaire Ils étaient les Brigades rouges donne la parole aux membres du commando qui a enlevé, jugé et exécuté Aldo Moro. Arrêtés, jugés, condamnés, tous ont purgé leur peine, certains sont encore en semi-détention. Devant la caméra de Mosco Levi Boucault, ils racontent comment ils orchestré le rapt, le climat de cette période, le pourquoi du comment de leur décision. Ils relatent aussi leur progressive radicalisation. L’ensemble offre un regard particulièrement éclairant sur une lutte des classes acharnée, en interrogeant sans parti pris ce qui peut pousser un individu à embrasser ce type de combat extrême.
Enlèvement à l’italienne – Marine Vlahovic – 2022
ARTE Radio propose ici un podcast absolument passionnant, qui offre un éclairage inattendu mais essentiel sur le climat qui régnait en Italie quand Aldo Moro a été enlevé. Marine Vlahovic a recueilli le récit de Daniel Nieto, qui dans les années 70 s’est spécialisé dans le kidnapping. Le marché de l’enlèvement était alors particulièrement florissant. Cet ancien gangster repenti revient notamment sur le dernier enlèvement qu’il a effectué, « l’enlèvement de trop ». Son témoignage, vibrant, parfois même truculent, évoque une véritable culture du rapt, ses règles, ses réalités, sa logistique, ses enjeux. C’est aussi l’occasion de mesurer le chaos qui régnait à l’époque dans les consciences, les limites poreuses entre Brigades rouges, extrême droite et mafia.
Après 68, la radicalisation de l’extrême gauche – Kristel Le Pollotec – 2018
Avec cet autre podcast, Kristel Le Pollotec propose de replacer l’émergence des Brigades rouges dans un mouvement international de radicalisation. Japon, Allemagne, France, après les événements de 68, partout le terrorisme d’extrême gauche se développe : changement de stratégie, passage de l’engagement politique à la lutte armée, coups d’éclats, enlèvements, attentats… là aussi, on a une vision panoramique d’un durcissement idéologique débouchant sur une lutte armée acharnée et sans pitié, sur fond de guerre froide et de confrontation entre deux blocs politiques, deux modèles de scoiét antagonistes.