Mercredi 3 mai 2023 : depuis ce lundi 1er mai, les réseaux sociaux sont inondés de clichés, de vidéos illustrant la nouvelle édition du MET Gala. Cela tourne en boucle, avec des taux incroyables d’ouverture, de relais, de commentaires. Ce n’est pas un hasard. Au fil des ans, le MET Ball s’est imposé comme une date clé du calendrier people à l’international, à l’égal de la Nuit des Oscars ou de la montée des marches au festival de Cannes. Mais encore ? Qui y a-t-il derrière cette soirée ? En quoi constitue-t-elle une référence en matière de communication ?
Qu’est-ce que le MET Gala ?
Surnommé « the party of the year », le MET gala ou MET ball, désigne le gala de charité annuel organisé chaque premier lundi du mois de mai pour inaugurer la nouvelle exposition du Anna Wintour Costume Institute. On ne peut en effet évoquer cet événement phare du calendrier fashion sans faire la focale sur l’institution qui l’héberge. Créé en 1937 à l’initiative de Irene Lewisohn, le Costume Institute abrite plus de 35 000 vêtements et accessoires témoignant de l’évolution de la mode depuis le Moyen-Age à aujourd’hui. Il a d’abord fusionné avec le Metropolitan Museum of Art de New-York avant d’intégrer les collections du Brooklyn Museum.
Initialement conçu comme un banquet, le MET Gala, baptisé à l’origine « Costume Institue gala », a progressivement pris la tournure d’une grande soirée à thème avec dress code obligatoire en lien avec le sujet de chaque nouvelle exposition. Des expositions aux thématiques particulièrement inspirantes et dont Wikipedia garde la trace ainsi que les magazines de mode, avides de saisir les total looks exhibés par les invités. On se souvient tout particulièrement de Heavenly Bodies : Fashion & Catholic imagination en 2018, Camp : notes on Fashion en 2019, Gilded glamour, white tie en 2022.
Pour l’édition 2023, c’est Karl Lagerfeld qui est à l’honneur avec Karl Lagerfeld : A Line of Beauty. Ce qui nous vaut un dress code baptisé “En l’honneur de Karl”, avec à la clé des pièces iconiques de Chanel dessinées par le maître, du blanc et du noir à profusion, des catogans, des lunettes de soleil, des éventails et des chats Choupette. Quelque 600 invités se sont succédé sur le tapis rouge déroulé à l’entrée du musée, converti en salle de réception, pour gravir les marches du bâtiment sous les flashes des photographes et les cris enthousiastes des fans. Objectif : rivaliser d’inventivité, d’imagination et d’audace pour illustrer la thématique de l’année.
MET Gala : des objectifs multiples
Mais encore ? Les objectifs du MET Galasont multiples :
- Il s’agit bien sûr de faire la promotion de chaque exposition de manière spectaculaire avec à la clé un véritable catwalk illuminé de tenues complètement folles, qu’il s’agisse de tenues historiques (Kim Kardashian arborant la célèbre robe de Marilyn Monroe, portée lors de l’anniversaire de JFK) ou de panoplies complètes créées spécifiquement pour la soirée par les grands couturiers.
- L’événement a aussi une fonction caritative cruciale. Il s’agit de rassembler des fonds pour faire vivre l’institut (achat de nouvelles pièces, restauration des collections existantes, entretien des lieux, salaire des équipes…). Comment ? En imposant un ticket d’entrée considérable. Prix du billet individuel : 25 000 dollars en moyenne, 35 000 en 2022, 50 000 en 2023 ! La location d’une tablée coûte entre 200 et 300 000 dollars. Des chiffres faramineux… et des levées de fonds records : 12 millions de dollars en 2014, 17 millions en 2022. Soit on paie sa place, soit on est invité par un grand couturier qui a retenu une table et pour qui on sert de mannequin, mettant sa notoriété au service et de la maison représentée et de l’institut.
- La visibilité médiatique est tellement important que cette soirée sert de chambre d’écho aux stylistes présents, ainsi qu’aux vedettes invitées… et aux marques dont elles sont les ambassadrices.
- Avec environ 32 529 674 consultations mensuelles du mot clé rien qu’en France et 835 k followers pour le compte Instagram de l’événement, on a une petite idée de la résonance opérée au niveau des réseaux sociaux. La visibilité est énorme., la viralité incroyable.
- C’est un marronnier diffusé par les organes de presse spécialisés et mainstream, avec force détails et commentaires.
- A l’heure où j’écris ces lignes, les vidéos, les photos sont relayées partout via les comptes d’influenceurs mode, qui commentent chaque costume ; les stars invitées ont filmé leur préparation, les selfies ont fusé un peu partout, les memes se déchaînent. Le hashtag #metgala affiche 1 975 643 publications, #metgala2023, 111 341.
La chasse gardée de Vogue
Le MET Gala constitue donc un levier marketing puissant, une mise en lumière soigneusement orchestrée et dont la logique social media s’enclenche le plus naturellement du monde. Ce n’est pas une nouveauté. L’événement a clairement été créé dans cette perspective. La première édition du «Costume Institute Gala» est organisé en 1948 par l’attachée de presse Eleanor Lambert, par ailleurs initiatrice de la première Fashion Week et fondatrice du Conseil des créateurs de mode américains. Dans un contexte d’après-guerre assez terne, alors que la mode européenne et haute-couture française ont été anéanties par l’occupation nazie et la Seconde Guerre Mondiale, c’est une occasion de relancer le secteur tout en ouvrant une porte pour les créateurs américains.
Dans les années 70, sous l’impulsion de Diana Vreeland, rédactrice en chef de Vogue bombardée directrice de l’institut, le dîner, jusqu’alors organisé dans de très grands palaces comme le Waldorf-Astoria ou au cœur de Central Park, privatisé pour l’occasion, intègre le musée même. Vreeland va oeuvrer pour en faire un événement people incontournable, un «the place to be» ultra-médiatique englobant aussi bien les stylistes et les acteurs, que les politiques, les sportifs, les artistes… c’est elle qui introduit l’idée des thématiques et du dress code, qui en fait un incontournable, qui pose l’idée phare : quand on est célèbre, on se doit d’aller au MET gala.
Aujourd’hui, le Met Ball est présidé très régulièrement par une certaine Anna Wintour, la redoutable et très respectée rédactrice en chef de ce même Vogue. Eh oui, encore lui ! Omniprésent dans l’organisation, le magazine couvre l’événement sous toutes ses coutures. Il suffit de consulter les différents comptes Vogue sur Instagram pour mesurer la main mise du vaisseau amiral de Condé Nast. Depuis sa naissance, Vogue a toujours eu pour vocation de régner sur l’industrie de la mode. C’est chose faite avec la gestion en continu ou presque du MET Gala, devenu une chasse-gardée. À la suite de Vreeland, Anna Wintour, dont le nom complète désormais le titre du célèbre institut devenu le Anna Wintour Costume Center, obtient des résultats assez impressionnants en présidant l’événement, puisqu’elle a rassemblé 145 millions de dollars depuis sa nomination.
La recette d’un MET Gala réussi
La recette d’un MET gala réussi ? On l’a identifiée au fil de cet article :
- une flopée de superstars ;
- des costumes ouffissimes (souvenir des tenues les plus folles) ;
- des arrivées fracassantes dans la grande tradition des premières hollywoodiennes ;
- un relais frénétique sur les réseaux sociaux, l’occasion de découvrir les relations intimes des vedettes tandis qu’elles se saluent, s’embrassent et se congratulent en sortant des limousines ;
- et puis il y a l’organisation en elle-même.
Précise, rigoureuse, réglée comme une horloge suisse, conçue comme une mécanique haut de gamme, elle s’avère relativement simple : montée des marches, visite de l’exposition, cocktail, dîner de gala agrémenté de plusieurs interventions des artistes invités et différentes after. Pour s’en faire une idée, on peut visionner le film Ocean’s Eight de Gary Ross qui évoque les différents temps d’un vol de bijou pendant le MET Gala. Anna Wintour y apparaît d’ailleurs en caméo, ainsi que plusieurs habitués de cette soirée, on comprend par ailleurs les impératifs logistiques liés à la préparation et au déroulement de l’événement.
Le petit plus pour parfaire ce plat ?
- Le culte du secret imposé par Wintour. On ne sait pas grand-chose de ce qui se passe durant la soirée, les selfies sont interdits, idem pour les cigarettes. C’est une règle tacite, que d’aucuns s’empressent d’enfreindre (ainsi Kylie Jenner postant une photo d’elle dans les toilettes de l’Institut sur ses réseaux réseaux sociaux en 2017) ; en résumé, il s’agit de révéler par petites touches les entrailles de l’event sans l’afficher clairement.
- Une liste d’invités triée sur le volet (et dont on attend la publication avec toujours beaucoup d’impatience, parmi les influenceurs comme dans la presse people). Tout le monde n’entre pas, Anna Wintour y veille jalousement. Recevoir un carton d’invitation constitue donc une véritable reconnaissance sociale, un pas franchi dans la hiérarchie de la jet society, une intronisation.
- Être convié pour la première fois au MET Gala est un honneur, que les chanceux affichent avec joie. Cette année par exemple, Marion Cotillard et Gwendoline Christie ont été adoubées.
- A l’inverse, ne pouvoir être présent est source de regrets: l’épouse de Bryan Reynolds, Blake Lively, consacrée reine du MET gala depuis plusieurs années, a été obligée d’annuler sa venue pour cause d’accouchement ; mais elle n’a pu s’empêcher de faire un petit selfie sur Intagram, avec tireuse de lait et un petit commentaire en mode clin d’oeil « Premier lundi de mai ». Preuve que la date de l’événement est inscrite dans l’inconscient collectif.
- Et puis il y a ceux qu’on écarte. Ainsi la non invitation de Harry et Meghan a fait couler beaucoup d’encre et attiser les rumeurs. Les convier aurait pu mettre le MET gala à mal avec la monarchie britannique, il a donc fallu ruser pour éviter le clash diplomatique.
- Une touche de scandale. Pas de MET Gala réussi sans une revendication. Ainsi en 2021, la politicienne démocrate Alexandria Ocasio-Cortez est arrivée revêtue d’une robe blanche barrée d’un « Tax the rich » résolument provocateur au milieu de tous ces personnages richissimes. Cette année, c’est la figure de Karl Lagerfeld qui fait polémique, certaines personnes invitées lui reprochant sa grossophobie, son regard critique sur le mouvement #metoo.
Temps fort du calendrier fashion, référence en matière de communication et d’événementiel, espace d’expression et de revendication (il y aurait tant à dire sur la mode masculine telle qu’elle s’affirme en cette occasion), le MET Gala s’est hissé au stade de passage initiatique, de rituel incontournable. La pandémie n’aura pas eu raison de lui ; alors que nombre d’autres manifestations n’ont pas survécu au COVID, « The party of the year » ne cesse de fasciner les foules. Savamment trusté par un média phare du secteur, conçu comme un moment unique et sélect, cette soirée emblématique propose, nous l’avons vu, une stratégie de communication bien rôdée, en s’inscrivant à la fois dans une logique de préservation du patrimoine de la mode et une volonté d’alimenter l’avenir de ce marché du luxe tout en se positionnant comme un divertissement destiné aux « happy few » de la jet set. Un modèle du genre.