À l’heure où Netflix et consort nous abreuvent d’un torrent de séries calibrées, lisses, sans saveur ni odeur, en un mot gnangnantissimes, tournons-nous vers le passé pour savourer les deux saisons du cultissime Utopia.
Une course poursuite sanglante
Utopia, c’est le titre d’un roman graphique que vénère un petit groupe de fans qui échangent sur un forum des plus anodins. Un jour, l’un d’entre eux annonce aux autres, tout fier, qu’il a mis la main sur le second tome d’Utopia, second tome qui n’a jamais été publié. Il leur propose de se retrouver dans un pub pour partager ces pages inédites. Il ne viendra jamais au rendez-vous. Deux tueurs sont venus lui régler son compte. Pour récupérer Utopia part 2. Utopia 2 qui a visiblement disparu. S’ensuit alors une course poursuite sanglante qui fait passer Killing Eve pour une balade à Disneyland.
Des fans traqués comme du gibier par des barbouzes aux méthodes de nazis, des politiciens corrompus jusqu’à l’os, des agents secrets dont on ne sait pas trop pour qui ils bossent, un auteur qui s’est volatilisé des années auparavant, une menace sanitaire d’envergure mondiale et cette Jessica Hyde aux allures de Nikita, guerrière moderne en lutte contre le mystérieux Network et son projet délirant. Ian, Becky, Wilson et Grant, les fans d’Utopia, se retrouvent mêlés à leur corps défendant à une machination dont l’ampleur et la cruauté les dépassent. Ce qui est sûr, c’est qu’ils doivent dire adieu à leur petite vie tranquille pour entrer en clandestinité. Et en lutte. Et ça ne va pas être simple.
Récit hystérique, problème d’actualité
Une fois de plus donc, les Britanniques se distinguent en proposant une histoire complètement barrée, avec un scénario alambiqué mais solide, des personnages étoffés mais complexes, des retournements de situations incroyables, un suspense à couper au couteau (ou à la cuillère, les fans de la série sauront de quoi je parle), des acteurs de première bourre (big up à Neil Maskell parfait en tueur psychopathe), un travail de l’image au scalpel. Un ensemble sans fausse note (la BO signée Cristobal Tapia de Veer est anthologique, notamment le générique « Utopia Overture », un monument en soi) avec un Dennis Kelly particulièrement inspiré, machiavélique et deshinibé aux commandes, qui accouche d’un récit hystérique, sanglant et addictif comme j’en ai peu apprécié.
Un récit qui n’a rien de gratuit. Le fonds de cette histoire folle est même d’actualité puisqu’il s’agit quand même de trouver une solution à la problématique de l’appauvrissement des ressources de la planète accru par la surpopulation mondiale. Que faire pour endiguer cette course à la catastrophe et à l’éradication de l’espèce, comment la contrer ? Et c’est là qu’intervient un mystérieux virus doublé d’un encore plus mystérieux vaccin, qu’on envisage d’inoculer à la planète entière. Cela ne vous rappelle rien ? Sauf que la série date de… 2013. Annulée au bout de deux saisons par manque d’audience. Alors qu’elle établit en termes crus et clairs l’équation qui se pose désormais à nous en vrai dans la vraie vie.
Si vous avez tendance à douter de tout, si vous êtes un brin complotiste, le visionnage d’Utopia ne va pas arranger les choses, pour sûr. D’autant que la série termine sur un cliffhanger insupportable que les producteurs n’ont pas jugé bon de solutionner par une saison 3 que le bon sens, l’esthétique et l’actualité justifiaient pourtant. Certes, les Américains ont tenté un remake, abandonné au terme de la saison 1 par Prime Video. Un pâle reflet vidé de la substantifique moelle de la souche anglaise, sidérante de justesse et d’équilibre, jusque dans ses détails les plus scabreux. Devrons-nous rester sur notre faim ? Si un producteur de Channel 4, à l’origine du projet, tombe sur ces lignes, par pitié, qu’il pense à relancer cette histoire démente. On en a tous besoin.
Et plus si affinités
Vous pouvez actuellement visionner les deux saisons d’Utopia sur ARTE.