L’Étrangleur de Boston : le surnom donné par les médias à Albert DeSalvo, accusé d’avoir étranglé 13 femmes au début des années 60. Accusé, condamné, puis poignardé dans sa cellule. Ce fait divers sordide a fait l’objet d’une adaptation cinématographique signée Richard Fleischer en 1968 avec Tony Curtis dans le rôle titre. En 2023, Matt Ruskin propose sa version de la traque. Une traque menée par deux femmes journalistes.
Sur la piste d’un tueur en série
Loretta McLaughlin est chroniqueuse pour le Record-America. Cantonnée aux rubriques féminines (cours de cuisine, mode et autres sujets « lifestyle »), elle aimerait bien devenir une vraie journaliste de terrain, à qui l’on confie des enquêtes de fond, des reportages d’envergure. La chose s’avère compliquée, dans cette Amérique des 60’s conservatrice et sexiste, où ces dames sont encore largement cantonnées à la cuisine.
Le chemin de la reconnaissance, Loretta va devoir le défricher seule. Frénétique du fait divers, observatrice forcenée de l’actualité, elle sent qu’elle tient un scoop quand elle tombe sur l’annonce d’un meurtre particulièrement ignoble : une vieille dame étranglée et violée. Un meurtre seulement ? Non. Très rapidement, Loretta recoupe cette info avec d’autres, partant ainsi sans même le savoir sur la piste d’un tueur en série redoutable.
Indifférence et fatalisme
À ses côtés pour enquêter, Jean Cole, une autre journaliste déjà plus affirmée, plus expérimentée, plus respectée également. À elles deux, elles remontent la piste du tueur, bien plus vite que leurs collègues ou les limiers d’une police bostonienne dépassée… à moins qu’elle n’en ait rien à faire ? Laxisme, manque d’exigence, aucun professionnalisme, une misogynie larvée : isolées, menacées, Loretta et Jean vont risquer jusqu’à leur vie pour faire éclater la vérité. Vérité d’ailleurs bien floue : appréhendé, passé aux aveux, DeSalvo est-il bien le coupable ?
La question est ici posée de manière magistrale. Aujourd’hui encore, le doute demeure. Un doute enraciné dans un état d’esprit que Ruskin met en lumière. Pour faire court, la société américaine de l’époque se soucie peu de ces dames. Le sexisme y est complètement banalisé, la mort atroce de victimes sans défense presque passée sous silence. Certes, à l’époque, profilage et techniques scientifiques sont basiques, on ignore même jusqu’au concept de serial killer. Il n’en demeure pas moins que ces meurtres prolifèrent sur le terreau de l’indifférence et du fatalisme.
Ruskin vs Fleischer ?
L’Étrangleur de Boston version 2023 fait la part belle aux lanceuses d’alerte que sont ces deux journalistes méritantes et courageuses, remarquablement interprétées par Keira Knightley et Carrie Coon. Sans elles, on n’aurait probablement jamais fait le recoupement entre toutes ces affaires. Le rôle de la presse est ici primordial ainsi que ses dérapages : vague de panique, surenchère, amplification et déformation, Loretta et Jean ont fort à faire pour garder la tête froide et ne pas tomber dans les facilités de l’info spectacle.
L’approche de Ruskin remet les choses à leur place, notamment quand on la compare avec la version de Fleischer qui se focalise sur la personnalité retorse de DeSalvo, interprété par un Tony Curtis saisissant. Une version assez moderne dans son traitement de l’image et du montage, mais qui tend à présenter un assassin psychiquement malade, à la limite de la démence. Une absolution tout à fait hors de propos quand on connaît les études plus récentes réalisées sur la psyché des tueurs en série. La comparaison des deux films est révélatrice : le sexisme dénoncé par Ruskin est à l’œuvre chez Fleischer. Preuve que les temps ont heureusement changé ? Il reste pourtant beaucoup à faire.
Les difficultés que rencontrent les héroïnes de Ruskin, on les retrouve dans d’autres récits mettant en avant le travail d’enquêtrices, ainsi She said qui relate comment Megan Twohey et Jodi Kantor ont révélé l’affaire Weinstein. Début des années 60 ou des années 2010, les écueils, les obstacles, les menaces sont les mêmes. Et cela fait frémir.
Et plus si affinités