On ne compte plus les films évoquant la Révolution française. Mais quant aux causes profondes de cette période, c’est plus nébuleux. Tourné en 1996, le film Ridicule de Patrice Leconte aborde cette question délicate de manière à la fois drôle, intelligente et cynique. Clairvoyante.
Comprendre les codes du bel esprit versaillais
Jeune, beau, intelligent, Grégoire Ponceludon de Malavoy est un petit marquis de province sans grande fortune, mais pétri de valeurs. Honnêteté, droiture, responsabilité : pour lui, un noble a autant de devoirs que de droits, sinon plus. Biberonné à l’esprit des Lumières, il enrage de voir ses paysans décimés par la malaria ; ses terres sont couvertes de marais immondes qu’il faudrait assécher de toute urgence. Pour cela, il faut de l’argent. Et l’argent se trouve à la cour de Versailles. Notre héros décide donc de se rendre auprès du roi Louis XVI.
Il sait le souverain bon et attentionné pour son peuple. Il veut l’avertir, obtenir son aide, lever des fonds pour entamer les travaux et venir à bout de ce fléau. Un long fleuve tranquille ? Bien sûr que non. Plus le jeune homme découvre la Cour, plus les obstacles s’accumulent. Car pour rencontrer le monarque, il va falloir montrer patte blanche, s’imposer dans son entourage, conquérir ses proches. Comprendre les codes du bel esprit versaillais et briller dans les salons. Et ce n’est pas chose aisée.
Un ridicule dont certains ne se remettent jamais
Imbue d’elle-même, jalouse de privilèges sclérosés, la haute aristocratie n’a que faire des miséreux qui crèvent dans les campagnes, rongés par les fièvres. Elle préfère s’amuser de bons mots, de saillies, de bouts rimés et autres joutes verbales. De charmants loisirs qui cachent un esprit de compétition impitoyable, un total manque d’empathie et de bienveillance. C’est à celui qui tournera l’autre en dérision. Un ridicule dont certains ne se remettent jamais. En bon candide qu’il est, Grégoire Ponceludon de Malavoy va-t-il survivre à ce traitement ?
S’appuyant sur les récits de Bussy Rabutin et saint-Simon, le scénariste Rémi Waterhouse accouche d’un film particulièrement prenant, dont l’atmosphère tient à la fois de la comédie noire et de la satire sociale. Patrice Leconte évoque quant à lui un « western à Versailles » : il faut dire que chaque séquence sent son duel au soleil, avec la parole comme revolver. « La droiture et le bel esprit sont rarement réunis» explique avec justesse le marquis de Bellegarde, mentor du héros, qui le guide dans cette jungle sans pitié.
La métamorphose en marche
Insensible à la souffrance de la populace, cette noblesse rongée d’ennui en arrive à se dévorer elle-même, une forme de cannibalisme particulièrement odieux et prophétique : quand les êtres d’une même espèce en arrivent à s’entre-dévorer de la sorte, c’est que leur fin est proche. L’action se situe en 1780, 9 ans plus tard, la Bastille est prise. Pourtant, la bascule est déjà en train de s’opérer sous le regard impuissant et écœuré de Grégoire Ponceludon de Malavoy.
Mené avec énergie, synthétique, ponctué d’images fortes qui contredisent le panorama des salons et des jardins, le récit de Leconte se singularise par la précision des costumes et des décors, la ciselure des répliques, le jeu des acteurs. On appréciera la faconde faussement désinvolte de Jean Rochefort, l’incroyable volonté de Charles Berling, la diction racée, ironique de Fanny Ardant. Cette dernière façonne le personnage de Mme de Blayac tout en contradictions, cruelle et pathétique, dévoratrice et fragile. Déjà en perdition dans ce monde dont elle ressent la métamorphose en marche.
L’ensemble n’a rien perdu de son piquant ni de sa pertinence. Pour tout dire, le propos est furieusement d’actualité. Et cela met mal à l’aise. Décidément, la fatuité n’a pas d’âge.
Et plus si affinités