Coup de cœur énorme et sans condition aucune pour Il viaggio a Reims, temps fort du Rossini Opera Festival de Pesaro. Ce n’est du reste pas un hasard. Écrit en 1825 à l’occasion du sacre du roi Charles X, cette œuvre de commande demeure l’une des plus abouties du compositeur italien, et un véritable challenge vocal pour ses interprètes. De là à devenir l’opéra test pour les jeunes chanteurs de l’Accademia Rossiniana de Pesaro, il n’y avait qu’un pas, désormais franchi à chaque nouvelle édition du festival. Opera Vision nous donne l’occasion de savourer le cru en date d’août 2023 et c’est un pur régal.
Un opéra bouffe succulent
Il viaggio a Reims donc : soit plusieurs voyageurs coincés dans une hôtellerie alors qu’ils doivent assister au sacre de Charles X. Inspiré par le romanCorinne ou l’Italiede Mme de Staël, Rossini accouche d’un opéra bouffe succulent, dont les personnages cosmopolites frôlent la crise de nerfs à chaque arpège. Bagages égarés, trousseau perdu, calèche en retard : les sueurs froides ne manquent guère pour cette petite compagnie en transit, compagnie cosmopolite à l’image d’une Europe en marche vers la modernité. Français, espagnol, italien, russe, polonais, allemand, anglais, chacun son origine, chacun son drapeau, mais au final, les nationalités dialoguent et se mêlent au fil d’intrigues amoureuses drolatiques comme seul le compositeur du Barbier de Séville a le secret.
De fait, Il viaggio a Reims a tout de l’œuvre chorale, exigeant des voix de très grande qualité pour chacun de ces rôles. Il fut d’ailleurs façonné pour les stars de l’époque avec sur le plateau trois sopranos, un alto, deux ténors, quatre barytons et basses rien pour les rôles principaux. Ce qui implique donc une distribution d’envergure, en témoigne la version de 1984 qui rassemblait sur une même scène Cecilia Gasdia, Lucia Valentini-Terrani, Lella Cuberli, Katia Ricciarelli, Samuel Ramey, et Ruggero Raimondi, pour ne citer que les plus connus. Parce qu’il offre autant de rôles d’ampleur à la fois, Il viaggio a Reims est devenu presque naturellement l’œuvre phare du Rossini Opera Festival, qui couronne les efforts des artistes lyriques passés par l’ Accademia de Pesaro.
Des interprètes pleins de fougue et de fantaisie
Cette institution fondée par le chef d’orchestre Alberto Zedda a pour but de former les voix rossiniennes du futur ; et elle y parvient avec succès si l’on en croit la carrière d’un certain Juan Diego Flórez, qui, sorti de cette formation de haut vol, s’est imposé comme l’un des plus grands ténors de notre époque, avant d’hériter de la direction artistique du festival qui l’a vu naître au monde lyrique. Il viaggio a Reims constitue l’épreuve du feu la plus adaptée pour mettre en valeur les jeunes voix, au vu du nombre d’airs complexes que contient le livret. Si l’on en croit l’édition 2023, la relève est assurée de la plus flamboyante des manières, à la fois au niveau de la maîtrise vocale et au stade du jeu théâtral.
Car la mise en scène d’Emilio Sagi ne laisse aucune chance au médiocre. Orchestre placé en fond de scène, une barrière, les chanteurs sur le devant. Habillés de peignoirs blancs, se prélassant sur des chaises longues, jouant avec des bulles de savon, on les croirait en train de suivre une cure dans un spa de luxe. Et tout ce petit monde de se critiquer, de minauder, de s’affronter et de se séduire avec fébrilité et un évident grain de folie, avant de se vêtir de noir pour enfin profiter du grand événement que constitue ce sacre. Une mise en espace plus qu’une mise en scène, des moyens très simples, qui mettent en exergue la virtuosité de ces interprètes pleins de fougue et de fantaisie, qui occupent l’espace avec aisance, suivent la frénésie rossinienne sans faiblir, charment ce public de connaisseurs.
Le tout est un, je l’ai dit, un pur régal et pour les yeux et pour les oreilles. L’occasion de découvrir le devenir de l’opéra, et de le faire en s’amusant, car Rossini aime nous faire rire, cela est sûr. Et il parvient encore par-delà la tombe, grâce à une jeunesse enthousiaste, talentueuse et comblée de lui rendre vie trois heures durant.
Et plus si affinités
Vous pouvez visionner ce spectacle sur le site d’Opera Vision.