Représenter la réalité du viol à l’écran est chose complexe ; on a vite fait de sombrer dans le voyeurisme, le racoleur, l’indélicatesse gratuite, sans forcément par ailleurs donner à voir les effets sur la victime. Avec La Syndicaliste, Jean-Paul Salomé réussit un tour de force : réaliser une œuvre percutante qui, par-delà la crudité du viol lui-même, la brutalité du rapport de domination entre agresseur et agressée, explore les mécanismes de pouvoir, l’intimidation et la violence sexuelle en jeu … dans le monde de l’entreprise. Et ce n’est pas une fiction, mais une histoire vraie.
Le calvaire de Maureen Kearney
En effet, La Syndicaliste retrace le calvaire de Maureen Kearney. Incarnée par une Isabelle Huppert magistrale, cette syndicaliste CFDT chez Areva découvre en 2012 l’existence d’un accord secret entre EDF et la Chine ; outre qu’il menace l’intégrité de l’industrie nucléaire française, cet accord met en péril des milliers d’emplois. Malgré les pressions politiques croissantes, les menaces de la direction, Maureen Kearney décide de se battre pour exposer la vérité.
Jusqu’à ce jour de décembre où un inconnu l’agresse à son domicile : elle est retrouvée ligotée et violée dans le sous-sol de sa maison, le manche d’un couteau inséré dans le vagin. Complètement traumatisée, elle porte plainte, mais elle est rapidement accusée d’avoir orchestré cette agression pour se victimiser. Commence alors un long chemin de croix, où elle va devoir prouver son innocence, envers et contre tous.
Le viol comme outil d’intimidation
Jean-Paul Salomé aborde ce sujet avec une rigueur remarquable. Fidèle aux événements tout en maintenant un rythme tendu et immersif, il s’appuie sur des faits précis, tirés du livre de la journaliste Caroline Michel-Aguirre, pour retracer cette affaire méconnue, mais aux répercussions profondes. Le réalisateur parvient à capter la complexité du personnage de Maureen Kearney, une femme isolée, mais dont la ténacité est admirable. Il dépeint aussi une France industrielle au bord du gouffre, où l’opacité et le secret sont les règles du jeu.
L’aspect le plus choquant de l’histoire est sans doute l’utilisation du viol comme outil d’intimidation, une arme pour écraser une lanceuse d’alerte prête à s’opposer aux intérêts financiers colossaux d’un secteur aussi stratégique que celui du nucléaire. Ce viol n’est pas seulement une agression physique ; il est un message : reste à ta place, ne dérange pas. La violence institutionnelle qui en découle est tout aussi troublante ; plutôt que d’enquêter sur les véritables responsables, les autorités s’acharnent à discréditer Kearney, retournant l’opinion publique contre elle.
Lutter contre l’injustice
La réalisation de Salomé met habilement en lumière cette mécanique insidieuse de manipulation et d’injustice. Le film sorti en 2022 révèle la solitude extrême à laquelle sont confrontés les lanceurs d’alerte, souvent sacrifiés sur l’autel des intérêts économiques et politiques. La Syndicaliste est donc non seulement une réflexion sur le courage et la résilience, mais aussi une dénonciation du système qui choisit l’oppression et la violence pour préserver ses intérêts.
Isabelle Huppert incarne Kearney avec une finesse et une intensité qui captivent dès les premières minutes. Sa prestation est d’autant plus poignante que le spectateur sait que l’histoire qu’elle raconte est réelle. La douleur de l’agression, la lutte contre l’injustice, la perte de crédibilité face aux médias et à la justice – tout cela transparaît dans son jeu, sans jamais tomber dans l’excès, toujours dans la justesse.
Une spirale infernale
Au-delà de la performance d’Isabelle Huppert, la mise en scène de Salomé est sobre mais énergique. Il joue sur les contrastes entre les vastes couloirs impersonnels des bureaux, symboles de pouvoir, et l’intimité violée de Kearney. Le rythme du film, bien que parfois lent, permet au spectateur de s’immerger pleinement dans la spirale infernale que vit la protagoniste.
En fin de compte, La Syndicaliste est un film puissant et nécessaire, qui nous rappelle que derrière chaque scandale industriel ou politique se cachent des vies brisées. Le message est clair : dans un monde où l’argent et le pouvoir dictent les règles, ceux qui osent s’élever en faveur de la vérité paient souvent un prix exorbitant.
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