En son temps, l’affaire Menendez a fait couler beaucoup, beaucoup d’encre. Deux fils de famille qui assassinent leurs parents à coup de fusil à pompe, un procès retentissant axé sur des soupçons de maltraitance et d’inceste, un verdict aujourd’hui encore contesté, deux coupables qui végètent toujours derrière les barreaux : le sujet ne pouvait qu’accrocher l’attention d’un Ryan Murphy avide d’autopsier la société américaine pour le pire du meilleur et le meilleur du pire. C’est ainsi que Monstres : l’histoire de Lyle et Erik Menéndez a déboulé sur nos écrans. Magistral !
Un carnage pour un héritage ?
Après avoir autopsié l’affaire de Jeffrey Dahmer, Murphy remet donc le couvert (si je puis dire) en passant le parricide des frangins Menendez sur le gril. Lyle et Erik ont en apparence tout pour être heureux. Les parents sont riches, la maison est belle, ils ne manquent de rien : deux magnifiques ados, des sportifs de haut niveau promis à de très belles carrières. Rien donc ne semble les prédisposer à buter leurs géniteurs au point de les rendre quasi méconnaissables, de couvrir d’éclats de chair et de sang le plafond du salon bibliothèque où ces derniers regardaient paisiblement la télé un soir d’aout 1989. Pourquoi alors ce carnage ? Pour récupérer un héritage qui allait leur passer sous le nez ?
C’est que quand on creuse un peu, on réalise que les deux gamins ne sont pas si mignons/gentils que ça. Il semblerait même qu’ils aient joué les cambrioleurs d’opérette, se faisant chopper comme des bleus par la maison Poulaga. Grand prince et jaloux de sa réputation, Menendez Senior a tout remboursé et puni ses héritiers en les rayant de son testament. Fin du débat : pour les enquêteurs, les deux gosses ont tout mis en œuvre pour récupérer la fortune paternelle et en profiter grandement du reste, au vu de leurs dépenses somptuaires après l’enterrement de papa/maman. Ils ont même confessé leur crime à leur psychologue qui a tout enregistré, tentant ainsi de les faire chanter.
Périple judiciaire et maltraitances sexuelles
Seulement voilà, tout n’est pas si simple. Il semblerait que les deux frères aient depuis l’enfance été victimes de maltraitance psychique, verbale, physique de la part d’un père qui les abusait sexuellement sous le regard indifférent au mieux, au pire complice d’une mère totalement déconnectée des réalités. C’est du moins ce que l’avocate d’Erik Leslie Abramson va avancer durant le procès, appuyant toute sa défense sur ce climat délétère pour expliquer le geste des deux tueurs. Grand amateur de l’exploration des angles morts de la psyché américaine, Murphy nous embarque dans ce voyage en eaux boueusement troubles, où le monstre n’est pas forcément celui qu’on pense.
En 9 épisodes taillés à la serpe et jouant sur la chrono et les flash back, nous suivons ce périple judiciaire décortiqué sous tous les angles. S’il n’apporte aucune lumière sur la vérité des faits, Murphy donne à voir toutes les approches, tous les points de vue : celui des parents interprétés de manière magistrale par Javier Bardem et Chloe Sevigny, celui des deux frères qu’incarnent Nicholas Chavez et Cooper Koch, celui des avocats, Ari Graynor en tête, parfaite dans la peau d’Abramson. Si certains points sont moins fouillés que d’autres, tout est abordé pour donner à voir un immense gâchis, une mascarade judiciaire, une société prompte à la justice la plus brutale, sans se soucier d’équité, de transparence, de tempérance.
Une équation insoluble
Ces deux garçons échappent à la peine de mort par miracle, mais sont condamnés à vie pour leur geste impardonnable. Impardonnable, mais explicité par la violence parentale subie au quotidien. Les jurés du premier procès étant incapables de statuer, un second procès débute, complètement drivé par un juge à la botte du bureau du procureur qui a désespérément besoin de redorer son blason après la claque du procès O.J. Simpson. Les frères Menendez seront donc jugés sur les faits et rien que les faits, la défense complètement muselée. Déni de justice ? C’est l’idée… À moins que ? À moins qu’ils ne soient des monstres de perversion froide, des acteurs nés, qui arrivent à feindre la douleur du trauma devant les jurés au point d’en faire pleurer plusieurs ?
Murphy s’amuse à brouiller les pistes, pour donner à comprendre les différentes facettes d’une équation par nature insoluble. Dès qu’il évoque une interprétation de la situation, il balance un nouvel argument qui contredit la démonstration précédente. Le spectateur se paume complètement dans ce labyrinthe, au même titre que les jurés du premier procès et que l’ensemble d’une opinion publique qui s’est passionnée pour l’affaire avant de s’en détourner, aspirée par d’autres sujets. c’est aussi cela que Murphy met en exergue : la versatilité d’un public qui assiste à ce procès comme à un spectacle, alors que les séances sont pour la première fois retransmises en direct à la télévision par la toute jeune chaîne Court TV.
The Menendez Murders : Erik Tells All
Société du spectacle qui se repaît de la douleur et de l’horreur, sans s’interroger sur l’atrocité quotidienne subie par ces deux gosses. Une fois bouclé le visionnage des neuf épisodes (on gardera en tête la longue séquence d’aveu d’Erik, interprétée par un Cooper Koch qui gagne là ses galons de très grand acteur), il faut se tourner vers un documentaire plus précis des faits. En ce qui me concerne et après avoir consulté plusieurs true crimes, j’ai décortiqué The Menendez Murders : Erik Tells All. Édite en 2017, la série documentaire consacre 5 épisodes à l’analyse de l’affaire dans un ordre chronologique, en s’appuyant sur le témoignage d’Erik ainsi que sur le récit d’enquêteurs, d’avocats, de membres de la famille.
Ce qui manque dans la série de Murphy apparaît dans le documentaire de manière frappante. Maltraitance il y eut, évidente pour beaucoup. Or à l’époque, dans les années 80, envisager l’inceste et l’abus sexuel de la part d’un père sur ces deux fils, qui plus est dans une famille huppée, parfaite illustration de la success story à la mode USA, c’était impensable. The Menendez Murders : Erik Tells All introduit ce paramètre dans l’équation, apportant un jour nouveau sur l’affaire, un regard plus profond, ce qui permet de raccorder toutes les pièces du puzzle, d’avoir une vision beaucoup plus nette du pourquoi du comment.
N’en faites pas l’économie. Car avec son récit, Murphy comme toujours, s’amuse avec les limites du true crime. Du reste, sa lecture a immédiatement été contestée par Erik Menendez du fin fond de sa prison. À tort ou à raison ?
Et plus si affinités ?
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