Titre à la con. Comme tous les titres que j’ai pu pondre dès que je chronique Eudeline. Eudeline est-il chroniquable, d’ailleurs ? Si j’avais un peu de guts, je bouclerais cet article ici même d’un tonitruant : « Vous voulez en savoir plus ? Ne me lisez pas, moi, lisez-le, lui ». Mais bon, faut bien que je justifie mon taff de rédactrice. Et puis, je suis amoureuse de P.Eudeline depuis que j’ai mis le piff dans Vénéneuse. Écrire sur ses écrits, c’est un peu m’en rapprocher. Et flirter avec le diable. Vous en doutez ? Pourtant Perdu pour la France le prouve, encore une fois. Ce type a un ange gardien, et pas dit que l’ange en question vienne du paradis.
Les souvenirs d’un dandy rock
Etienne Daho s’était contenté de tomber ; Eudeline, entier comme à son habitude et convaincu du tracé sans faille de sa course à l’abîme, se revendique « perdu pour la France » au point de griffer ce titre sur un récit autobiographique aussi flamboyant que morcelé. Un fourre-tout de souvenirs rédigé avec cette plume de dandy rock qu’on lui connaît, simple et travaillée à la fois, impeccable de justesse et d’élégance, d’amertume et de nostalgie.
Émergeant au terme des Swinging 60’s, Eudeline s’est gorgé de la contre-culture hippie avant de foncer tête baissée dans la tornade punk. Asphalt Jungle, Actuel, Siouxsie devant le Chalet du lac juste avant le concert des Sex Pistols, Anita Pallenberg écumant les rades de Pigalle, les débuts des Rita Mitsouko, Virginie Despentes lui sauvant la mise, l’ambiance du Gibus et des Halles avant qu’elles ne deviennent le cirque marketing qu’on sait… Eudeline en a vécus, des moments forts, inscrits au fer rouge dans sa mémoire.
Des petits trucs qui en disent long
Et il raconte, en 31 chapitres courts et incisifs, des anecdotes, des souvenirs, des instants de vie uniques. La came, le rock, les potes bien sûr, les gonzesses aussi. Les fights (le passage sur Pete Doherty vaut son pesant de cacahuètes), les opportunités, les gâchis, les périodes de gloire, les périodes de loose. L’amour des fringues, de la musique, du talent, la rencontre avec les grands artistes de ces Trente Glorieuses si riches et si décevantes à la fois. Et puis il y a l’introspection ; Eudeline, au détour de certains paragraphes, de certaines phrases, se lâche, fait tomber le masque, balance des petits trucs qu’on ignorait sur lui.
Des petits trucs qui en disent long, comme tous les petits trucs bien évidemment. Histoire qu’on tente de comprendre avec lui comment petit Patrick est devenu Eudeline le Maudit. Un Maudit qui s’accroche, toujours là malgré les nombreux aléas de la vie de rocker dilettante qu’il s’est choisie et à laquelle, pour rien au monde, il ne renoncerait. Effet dinosaure ? Ou gardien du temple ? Je vote pour la deuxième. Véritable puits de science, Eudeline évoque un nombre incalculable de références culturelles, nous poussant malicieusement à aller vérifier/regarder/écouter.
Dire merde au conformisme
Ainsi sa petite escapade dans le Sud, à Saint-Tropez version 2018, afin de vérifier si un guitariste peut encore y gagner un peu de thune en faisant la manche devant les bars. Dans son sillage et comme chauffeur (Eudeline n’a pas le permis et je le comprends), Alex Horn, photographe et illustrateur de son état, venu immortaliser le périple. Et le désastre. Devant la jetée du Portalet, Eudeline évoque :
« Trintignant, Vian, Buffet ou Hockney, Marie Laforêt et B.B., les Pretty Things accompagnant Philippe DeBarge pendant que Twink faisait le fou. Tous dansant la ronde.
Oui, tout cela avait eu lieu.
Il n’en restait rien. Des fantômes. Aujourd’hui, tout était circonscrit, réglementé, interdit, impossible. Les gens n’avaient qu’un droit : sortir leur carte bleue et se prendre en selfie. Bienvenue au XXIᵉ siècle. »
Tout est dit. Pourtant, Eudeline n’est pas en mode « Ouin ouin, c’était mieux avant où sont mes vertes années ? » En témoignant, en racontant, en transmettant, il ne cherche pas tant à comprendre qui il est devenu et en quoi il est en décalage avec le présent. Il lutte pour préserver ce qui vaut le coup d’être préservé : le talent, la curiosité, la diversité, la liberté, la douce folie, la légèreté, l’insouciance, la fierté d’être soi, d’oser. Et l’intrinsèque obligation de dire merde au conformisme sous toutes ses formes. Car le conformisme, c’est la mort de l’être et de l’âme.
Et plus si affinités ?
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