Qu’est-ce que l’emprise ? Comment se met-elle en place ? Quelle sont ses mécanismes ? C’est ce que tente de mettre en évidence Stéphane Demoustier avec le film Borgo. Un thriller psychologique au cœur de la Corse, entre corruption, manipulation et fonctionnement mafieux. Inspiré d’un fait divers réel, ce récit prenant et surprenant dévoile la fragilité des frontières qui séparent le bien du mal et la facilité stupéfiante avec laquelle on peut passer de l’un à l’autre sans même s’en rendre compte.
Une matonne qu’on apprécie
Tout commence avec l’installation de Mélissa et sa petite famille en Corse à Bastia. Un nouveau départ pour le couple qui a bien du mal à s’intégrer, se heurtant au racisme de ses voisins. Pourtant Mélissa est tout ce qu’il y a d’honorable. Excellente surveillante pénitentiaire, elle rejoint l’équipe du centre de détention de Borgo, réputé pour son fonctionnement atypique : les détenus y fonctionnent en autonomie. Des détenus qui entretiennent d’excellentes relations avec les gardiens, mais qui vont commencer par bizuter la nouvelle venue.
C’est là qu’elle croise Saveriu, un jeune prisonnier qu’elle a connu dans une affectation précédente et qui va la prendre sous son aile. Soudain tout devient plus facile, ses voisins sont plus déférents, les détenus sont plus respectueux, pour ne pas dire affectueux. Visiblement Saveriu a su tirer les bonnes ficelles pour protéger cette matonne qu’il apprécie. Seulement voilà : cette protection, Mélissa va devoir en payer le prix. De petit service en petit service, elle se retrouve à fournir des informations, pire encore. Et c’est ce pire-là qui va la saisir à la gorge.
Une épure stylistique
La spirale que décrit Stéphane Demoustier avec une épure stylistique proche du regard documentaire, trouve son ancrage dans un fait réel : un surveillante de prison impliquée dans un double meurtre perpétré en 2017 à l’aéroport de Bastia. Corruption en marche, complicité avec des clans mafieux : derrière la logique des faits, l’énigme de la démarche intellectuelle, psychique, les émotions à l’œuvre. Pourquoi et comment cette femme a-t-elle pu vriller ?
Jamais le réalisateur ne porte de jugement. Mieux, il nous emmène avec Melissa dans un quotidien où transparaît le manque affectif, une forme de frustration, le besoin d’être reconnue, épaulée, protégée. Aimée peut-être ? Etape par étape, on voit l’héroïne céder du terrain, baisser la garde, s’ouvrir, partager des moments avec Saveriu et ses amis. une communauté attachante qui l’accepte, l’accueille avant de l’accaparer.
Le camp du crime
L’argent n’est pas le point de départ, pas le facteur déclencheur. Il concrétise la bascule dans le camp du crime. Et c’est cela qui est intéressant dans l’approche de Demoustier, de même sa narration à deux vitesses qui croise l’enquête sur le double meurtre et la lente chute d’une Mélissa incarnée avec beaucoup de finesse par Hasfia Herzi, remarquable de nuances, de subtilités, piégée entre ses principes et les pressions qu’elle subit. Quand les deux fils narratifs se rejoignent, la prise de conscience est intense.
De même la perception de l’île de Beauté : paysages superbes, dureté d’une population qui vit dans le secret, l’autarcie. On peut en rire, comme c’est le cas dans la comédie L’Enquête corse ; on peut aussi trembler et c’est l’option choisie ici, qui évoque le regard adopté dans le roman Gomorra de Roberto Saviano. Le film Borgo s’impose comme une réussite, un récit mené avec beaucoup d’intelligence et de pertinence, servi par la performance d’une actrice sur le fil du rasoir, une globalité qui a tout du grand polar, à la fois fait pour frémir, dénoncer mais aussi méditer sur les failles de la psyché humaine.
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