Paris, ville lumière tombée dans les ténèbres durant l’Occupation. Symbole de cette chute dans l’obscur : le devenir des grands hôtels de la capitale, annexés par les troupes allemandes qui vont en faire leurs QG. Deux romans évoquent ce détournement de grande et tragique ampleur : Le Barman du Ritz de Philippe Collin et Lutetia de Pierre Assouline. Deux immersions prenantes au cœur de ces palaces emblématiques, révélant les intrigues, les dilemmes moraux et les destins croisés qui s’y sont joués.
Le Barman du Ritz – Philippe Collin – 2024
Haut lieu de l’hôtellerie de luxe, le Ritz est un symbole de la culture parisienne, de son attractivité internationale. Le célèbre Frank Meier y officie, tenant le bar d’une main de fer. D’origine autrichienne et juive, le barman a acquis sont savoir-faire légendaire aux USA avant de revenir en Europe. Son art du cocktail, il en a fait un livre, on vient de partout pour savourer ses mélanges. Connu des stars, apprécié de tous, il a su cacher sa judéité.
Mais l’arrivée en masse des pontes de la Wehrmacht change la donne. Piégé derrière son comptoir, Meier va devoir tromper son monde pour demeurer en vie. Naviguant entre mondanités et menaces, le barman du Ritz croise les grandes figures de l’époque, depuis Göring jusqu’à Laffont en passant par Arletty, Guitry, Blanche Auzello… Certains collaborent franchement, d’autres résistent dans l’ombre, tous essayent de survivre comme ils peuvent dans cet enfer.
À travers une reconstitution historique minutieuse, Collin dépeint la biographie romancée d’un homme incarnant les contradictions de cette période funeste. Le Ritz, théâtre d’un double jeu, devient le miroir d’une société en plein effondrement, où tout le monde se méfie de tout le monde, où chaque sourire cache un péril, une trahison en puissance. La barbarie nazie, le caractère impitoyable de la Collaboration, les difficultés du quotidien, le tableau est saisissant de vérité, jusque dans l’évocation des peurs incessantes, du traumatisme profond accumulé quatre années durant.
Lutetia – Pierre Assouline – 2005
Lutetia évoque quant à lui les coulisses d’un palace concurrent, unique grand hôtel de la rive gauche, à travers les yeux d’Édouard Kiefer, Alsacien de souche, ancien policier devenu chef de la sécurité. De 1940 à 1945, le Lutetia accueille les services de renseignement de l’armée allemande, qui mettent l’établissement en coupe réglée. Le lieu du glamour devient celui des secrets, des interrogatoires, des rafles de résistants.
Confrontant les années de gloire de l’entre-deux guerres et les années sombres de l’Occupation, Assouline par les yeux de son héros, donne à voir une tension constante, la fine frontière séparant survie, collaboration et résistance. La survie au quotidien, la peur au ventre, la colère impuissante, l’éventail des émotions ressenties est d’une justesse redoutable, pour ne pas dire perfide. Difficile de ne pas s’identifier à ceux qui ont vécu cette parenthèse empoisonnée, de ne pas faire écho avec leur détresse.
Détaillé, sourcé, ce roman passionnant met également en avant la « rédemption » du palace qui, à la Libération, sert de point de triage des rescapés de camps de concentration. Le récit d’Assouline prend alors une dimension terrible, chaque page constituant un déchirement, la confrontation avec l’horreur, la prise de conscience des atrocités infligées et subies, le traumatisme profondément ancré pour les survivants et ceux qui les recueillent.
Remarquables et saisissantes, ces deux œuvres offrent des perspectives complémentaires sur le rôle des grands hôtels parisiens durant la Seconde Guerre mondiale. Refuges et pièges, le faste y côtoie la trahison et le courage, la grandeur et l’atroce. En abordant l’histoire de Paris sous l’Occupation à travers ce prisme, ces récits particulièrement bien écrits nous tendent deux miroirs privilégiés où se reflètent les pertes de repères, l’errance, les drames, les espoirs, les chocs d’une époque profondément troublée.
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