On ne va pas se mentir. En reprenant le film culte de Murnau, en passant derrière la relecture hallucinée (et particulièrement réussie) d’Herzog, Robert Eggers a pris un très gros risque : celui de saccager un récit fondateur, une légende. Pas évident évident de repasser derrière deux maîtres du cinéma, qui chacun bénéficiait d’interprètes de génie (Max Schreck pour l’un, Klaus Kinski pour l’autre). Et pourtant, Eggers, avec son Nosferatu 2024, réussit un coup de maître : apporter du sang neuf à un vampire ancestral, tout en accouchant d’une œuvre fantastique à l’aura particulièrement malsaine.
Un transi médiéval
Nosferatu, l’innommable, le démon, le diable, le non-mort… un vampire livide et chauve, aux doigts griffus, aux oreilles en pointe, une goule aux dents acérées qui va répandre la mort et le malheur sur le monde. Il faudra le sacrifice d’une jeune femme au cœur pur pour sauver l’humanité de ce monstre assoiffé de sang et de malédiction. Bon : voici les grandes lignes de l’histoire adaptée à l’écran par Murnau en 1922, avec le succès que l’on sait.
Herzog creusera ce sillon, soulignant un peu plus le côté romantique de ce comte Orlock largement inspiré du roman Dracula de Bram Stocker. Un être maudit et seul, qui convoite l’amour d’une femme superbe dont on se demande si ce n’est pas elle au finish le vrai vampire des deux (Isabelle Adjani, impériale). Changement de registre avec la version d’Eggers. Exit le fantôme blafard, Orlock à la mode 2024 (Bill Skarsgård) a tout du transi médiéval et c’est justement là l’originalité.
Énergie, démesure et poésie
Ce cadavre qui marche, en partie décomposé, altier et autoritaire cependant, vêtu comme les seigneurs roumains de la Renaissance, diffuse le désespoir et la démence sur le monde et l’humanité dans le seul but de récupérer celle qui lui est promise. Tout juste mariée à Thomas (Nicolas Hoult), l’élue, Ellen Hutter, va sombrer dans une mélancolie aux accents épileptiques spectaculaires. Plus Orlock se rapproche plus d’elle, plus la jeune femme se délite, multipliant les crises de nerfs et de somnanbulisme, au cœur d’une ville ravagée par la peste.
Lily-Rose Depp plante une héroïne décidée à combattre son agresseur par tous les moyens, même les plus extrêmes. Sa prestation est aussi sportive que stupéfiante, alliant énergie, démesure et poésie. L’atmosphère autour d’elle tient à la fois du conte horrifique à la Edgar Allan Poe et du roman gothique en mode les Hauts de Hurlevent d’Emily Brontë. Le travail des éclairages, lumière du feu versus paleur de la lune, contribue à tisser une atmosphère particulièrement oppressante, où les ombres s’agitent comme des serpents avides.
Un cauchemar gothique
Perte de repères, ruptures de rythmes, vertiges, illusions d’optique, le film est tourné de manière à perdre le spectateur dans le cauchemar des personnages. Un cauchemar qui s’installe petit à petit avant de prendre une dimension dantesque et crue. Sous le vernis des apparences, le caractère policé des relations, la politesse d’un XIXe siècle voué à la science et à la modernité, la bestialité ancestrale sommeille, violence, sexe, cruauté.
En cela, le Nosferatu d’ Eggers semble une continuité de The Witch, premier film du réalisateur et récit hautement horrifique disséquant avec un sens consommé du suspense comment une toute jeune fille sombre dans une sorcellerie matinée de parenticide. Même sensualité ne demandant qu’à déraper, même attirance pour l’ombre et l’interdit, même fascination pour le Mal, et un spectateur complètement terrorisé par cette atmosphère irrespirable où s’épanouit l’indicible.
Décors et costumes, effets spéciaux et cadrages ajoutent la pointe de réalisme nécessaire pour rendre, sinon crédible, du moins concrète cette fable macabre, moderne déclinaison du thème de la jeune fille et la Mort.
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