
L’exposition L’art dégénéré : Le procès de l’art moderne sous le nazisme, qui se tient actuellement au Musée Picasso-Paris, dévoile une période sombre de l’histoire de l’art : la persécution systématique des artistes modernes par le régime nazi. Qui ? Pourquoi ? Comment ? Ce parcours épluche par le menu les paramètres d’une censure à la brutalité rarement égalée.
L’art dégénéré, symptôme d’une maladie sociale
Pour saisir la portée de cette exposition et son intérêt, revenons sur la genèse du terme « art dégénéré ». La tournure a été utilisée par le régime nazi pour désigner l’art moderne, considéré comme une menace à la pureté raciale allemande. Le terme « dégénérescence » (ou Entartung) s’enracine dans les théories pseudoscientifiques du XIXe siècle, en particulier celles du médecin Max Nordau.
Dans son livre Dégénérescence publié en 1892, Nordau a utilisé ce terme pour décrire ce qu’il considérait comme les symptômes de maladies sociales et culturelles, dont l’art moderne faisait partie. Selon lui, les artistes modernes comme Vincent van Gogh ou Henri Toulouse-Lautrec étaient des exemples de cette dégénérescence, car leurs œuvres échappaient aux normes artistiques traditionnelles.
Une campagne de dénigrement et de destruction
Lorsque les nazis prennent le pouvoir en 1933, ils adoptent cette notion de dégénérescence et l’appliquent à l’art moderne. Ils déclarent ainsi la guerre à des courants artistiques qui ne correspondent pas à leurs idéaux de pureté raciale et culturelle. De cette manière, ils stigmatisent des artistes perçus comme « non aryens », comme les Juifs, ou ceux dont l’art est jugé déviant, subversif ou malade. Parmi les artistes les plus célèbres ciblés, on retrouve des figures emblématiques telles que Vassily Kandinsky, Paul Klee, Emil Nolde, et Pablo Picasso.
Cette campagne de dénigrement et de destruction des œuvres jugées contraires à l’idéologie nazie, est notamment marquée par l’exposition Entartete Kunst organisée en 1937 à Munich : plus de 600 œuvres d’artistes modernes sont exposées pour être moquées et ridiculisées, officiellement rejetées comme des symptômes de dégénérescence morale et physique. Idem pour les auteurs de ces œuvres qui constituent autant de noms à rayer des manuels d’éducation artistique, de tableaux à brûler, de cibles à abattre.
Un voyage dans l’oppression artistique
L’exposition du Musée Picasso illustre l’ampleur de cette attaque contre l’art moderne. Elle s’articule autour d’un parcours riche en œuvres, des pièces majeures, confisquées puis exposées comme des objets de dégoût, ici présentées dans un décor pensé pour choquer les visiteurs, comme en témoigne le mur où sont inscrits les 1400 noms d’artistes fichés par les nazis. 37 d’entre eux sont aujourd’hui exposés, avec leurs lots d’anecdotes sordides : le rabbin peint par Chagall fut traîné dans la boue des rues berlinoises par les SA, l’œuvre Metropolis de George Grosz exposée pour dénoncer le judéo-bolchévisme artistique, l’atelier de l’artiste pillé.
L’exposition raconte la purge des musées, les 20 000 œuvres mises au ban, le trafic très lucratif des tableaux de Van Gogh et Picasso, jugés dégénérés mais vendus à prix d’or pour financer l’effort de guerre nazi. Les tableaux ici présentés sont des rescapés, des survivants. Ils témoignent d’un temps d’obscurantisme qui trouve un écho particulièrement funèbre dans notre actualité. Au nom du « Make America Great Again », Trump et son administration sont actuellement en train de démembrer la créativité américaine, ramenant les USA à l’âge de pierre. Un reflet ténébreux de la montée des extrêmes droites à travers le monde et de leur impact sur l’innovation artistique.
Preuve que les idéologies excluantes et répressives sont loin d’être révolues et que leur premier geste lors de la prise du pouvoir est la destruction des artistes d’avant-garde, qui incarnent la différence et la pluralité. En parcourant l’exposition L’art dégénéré, en comprenant le contexte historique des persécutions nazies contre l’art, les visiteurs vont aussi saisir l’importance de protéger la liberté d’expression et de création à une époque où ces valeurs sont à nouveau menacées.
Pour en savoir plus, consultez le site du musée Picasso – Paris.
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