
Créer n’est jamais anodin. D’aucuns parlent même d’éruption créative. L’année des volcans va dans ce sens. Le roman de François-Guillaume Lorrain évoque comment le réalisateur italien Rossellini a tourné le film culte Stromboli. Avec à la clé la séduction d’Ingrid Bergman et l’abandon d’Anna Magnani. Un récit impétueux pour une aventure artistique et amoureuse qui sent le souffre !
Une légende révélatrice
L’année des volcans? Ces volcans, ce sont ceux des îles de Stromboli et Vulcano. Perdus dans l’archipel des îles Éoliennes vers la Sicile. Distantes dune soixantaine de kilomètres, chaque île voit la fumée émise par le volcan de l’autre. Ces deux îles asséchées par le soleil et le souffre furent jadis le théâtre d’une lutte cinématographique épique. C’est là que, dans les années 50, se joua la rivalité entre Ingrid Bergman et Anna Magnani. La première, froide et blonde star suédoise, la seconde tempétueuse diva italienne. Au centre, le réalisateur Roberto Rosselini, chantre du cinéma néoréaliste, qui abandonna lâchement la seconde pour séduire la première. En jeu, la réalisation d’un chef d’oeuvre.
En apparence, cela semble très simple, pour ne pas dire sordide. Une histoire pour tabloïd, une source de ragots faite pour éblouir les foules et faire parler les crétins en manque de rumeurs. Mais sous la plume de François-Guillaume Lorrain, cette histoire prend des allures de mythe fondateur, de légende révélatrice. Révélatrice de la brutalité à l’œuvre dans la gestation d’une œuvre d’art d’exception. Révélatrice de la violence des relations entre un metteur en scène et son actrice. De l’amour à la tyrannie, il n’y a qu’un pas, que Rosselini franchit sans même s’en rendre compte, saccageant tout autour de lui.
Une revanche sur l’adversité
Les deux femmes, érigées en rivales par les média, victimes pourtant, ne s’en remettront guère. Obligées d’assumer des choix qui ne sont peut-être pas les leurs. Manipulées. Rejetées quand elles se rebellent. Cette confrontation prendra un tour inédit, les deux amantes incarnant chacune un monde : l’une littéralement enlevée à l’industrie hollywoodienne dont elle est un pur produit et qui lui en voudra à mort, l’autre délaissée bien qu’idolâtrée, portée par toute une population qui la soutient et en fait une ambassadrice de la culture européenne outragée. Rossellini, génie s’il en est, se conduit néanmoins comme un pirate, un pilleur, sans foi ni loi, qui trompe son monde, abuse les crédulités, tient ses équipes d’une main de fer, pousse ses acteurs dans leurs retranchements.
Par delà cette tumultueuse passion, Lorrain donne à voir les différents temps d’une conception artistique qui va bouleverser les codes cinématographiques en profondeur. Raconter la naissance du film Stromboli et de son compétiteur Vulcano (œuvre de commande dirigé par Dieterle avec Magnagni), c’est aborder les écarts entre le richissime mais très codifié et marketé cinéma américain et un cinéma italien miséreux certes, mais débordant d’inventivité et d’audace, inaugurant son âge d’or. Le premier veut copier le second, le second est prêt à dévorer le premier. La passion entre Rossellini et Bergman déborde le cadre de l’intime pour illustrer cette opposition culturelle, symboliser une revanche éclatante sur l’adversité, la pauvreté, d’ailleurs mis en exergue dans le film.
Lorrain, très au fait de son sujet, détaille chaque tournage, soulignant les outrances, les moments forts, les souffrances, les doutes. Avant, pendant, surtout après : l’aventure créative de Stromboli laissera des traces indélébiles dans la culture mais aussi dans ces vies. L’année des volcans éclaire ces traces douloureuses, néanmoins débordantes de vie, d’énergie, avec un style flamboyant et particulièrement prenant.
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