Que faire quand on veut larguer une maîtresse trop encombrante pour épouser une jeune et naïve héritière ?Le plus simple serait encore de le dire ouvertement, sauf que Mr de Bois d’Enghien, aristocrate ruiné qui a bien besoin de ce mariage pour redorer son blason, a bien du mal à annoncer la chose à la volcanique Lucette Gautier, son amante passionnée et encombrante, par ailleurs chanteuse de cabaret en vogue.Lâcheté masculine séculaire ? Ou simplement désir inconscient de ménager la chèvre et le chou ? Notre héros peine à rompre ce fil à la patte.
Des allures de guerre de Troie comiquissime
Il faudra un contrat de mariage raté et le scandale qui va avec (dans le Paris Jetset de la fin du XIXeme siècle, ce genre d’affaire vous ruine une réputation) pour que le fiancé se décide à agir de façon énergique. Cette intrigue pourrait tenir sur un timbre-poste, me direz-vous. Oui, mais c’est Feydeau qui en déroule le fil justement de ce vaudeville génial, et avec Feydeau, ce genre d’affaire prend vite des allures de guerre de Troie comiquissime, avec rebondissements en cascades, mensonges tous plus gros les uns que les autres, situations rocambolesques à la clé. Si l’on résume, en réglant un problème, Bois d’Enghien en engendre cinq. Et s’enfonce. Pour notre plus grand plaisir.
Car, pour couronner le tout et lui compliquer singulièrement la tâche, notre fringant fiancé est cerné de personnages tous plus ravagés les uns que les autres, entre un clair de notaire névrosé qui écrit des chansons paillardes, une baronne collet monté, une fiancée oie blanche qui gère son histoire d’amour suivant les lois de l’offre et de la demande, un général au sang chaud et à l’accent latino incompréhensible… et tout ce petit monde ajoute son lot de bourdes, de courses-poursuites échevelées entre appartements bourgeois et escaliers de service, de punchlines à se tordre…
Deux versions historiques
Deux versions s’imposent, trustées par la Comédie-Française à quarante ans d’écart :
- la lecture survoltée de Jacques Charon datée de 1970, avec la troupe du français au complet, soit Charron – Boudet – Piat – Gence – Samie – Hirsch – Duchaussoy – Deiber – Noëlle qui nous entraînent dans une sarabande proprement hallucinante, avec son lot de gags, de quiproquos, un vrai délire qui n’a pas pris une ride.
- la version de 2011 par Jérôme Deschamps à qui revient le redoutable honneur de prendre la suite de la première version, historique, sans faire redondance. Et le père des Deschiens y parvient, grâce à un casting aussi éclatant que la première affiche (Guillaume Gallienne passe du rôle de Cheneviette, l’ex de Lucette, à celui de la gouvernante anglaise avec une aisance déconcertante, Christian Hecq est à se rouler de rire dans le personnage de Bouzin, et c’est tout à son crédit, vu qu’il prend la succession de Robert Hirsch, qui a marqué l’histoire de la troupe et du théâtre français avec son interprétation) ; on ajoutera la fameuse touche Deschiens donc, dans les gags et la diction, mais aussi dans les décors kitch (le papier peint où dialogue des séries de fées et d’escargots), les costumes un peu dingues (les fourrures de la Baronne qui assemblent des ours en peluche).
Vous hésitez ? Ne choisissez pas, regardez les deux, pour le plaisir d’abord, la crise de rire ensuite, la leçon de théâtre également : en deux mises en scène, la Comédie-Française démontre ici son pouvoir d’adaptation, sa griffe singulière quand il s’agit de s’emparer d’un texte et d’en apporter une lecture à la fois ancrée dans l’époque et intemporelle. Et puis le rire n’a pas d’âge, Le Fil à la patte est un prodige de légèreté, c‘est drôle, c’est léger, superbement écrit, plein d’imagination, c’est à voir, revoir, rerevoir !
Et plus si affinités
Vous pouvez visionner la version 1970 de la pièce Le Fil à la patte sur le site Madelen de l’INA,