« Les Clowns » de Fellini : rires en clair-obscur, mémoire d’un monde en disparition

The ARTchemists Les Clowns Fellini

Le cirque, chez Federico Fellini, n’est pas une simple attraction. C’est une matrice esthétique, un théâtre du monde, un rêve bariolé aux lisières du grotesque et du merveilleux. Dès La Strada (1954), le réalisateur italien plaçait ses personnages dans un univers de saltimbanques et de marginaux, où les clowns tristes dissimulaient les fêlures de l’âme humaine. Avec Les Clowns, tourné en 1970 pour la télévision italienne et française, Fellini signe un hommage hybride, entre documentaire et fantaisie, enquête et autofiction, à cette figure emblématique qu’il n’a cessé de convoquer tout au long de son œuvre.

Une forme inclassable : le faux documentaire fellinien

Ni vraiment un film de fiction, ni tout à fait un documentaire : Les Clowns (I Clowns en VO) brouille les pistes, pour accoucher d’un OVNI. Fellini s’y met en scène lui-même, accompagné d’une équipe de tournage, enquêtant sur les clowns et leur place dans la société moderne. La caméra devient alors complice d’un jeu de pistes où le vrai et le faux se confondent.

Interviews réelles d’anciens artistes de cirque, scènes rejouées, souvenirs d’enfance stylisés, séquences burlesques : tout se mêle dans un joyeux désordre, maîtrisé à la perfection. Ce procédé, précurseur de ce que l’on appellera plus tard le mockumentary, permet à Fellini de questionner l’acte même de filmer et de regarder. Qui sont les clowns ? Que disent-ils de nous ? Pourquoi nous font-ils rire ? Pourquoi nous inquiètent-ils ?

Une galerie de visages entre rire et effroi

Dans Les Clowns, les personnages apparaissent comme autant de masques, à la frontière du comique et du tragique. Certains clowns sont filmés comme des vestiges vivants d’un art sur le déclin : vieux, fatigués, parfois ridicules, mais encore porteurs d’une grandeur passée. D’autres, plus inquiétants, évoquent les clowns cauchemardesques qui peuplent l’inconscient collectif, bien avant Stephen King.

Le film se teinte alors d’une mélancolie douce-amère, celle d’un monde populaire en train de disparaître, absorbé par la télévision, la société de consommation, le divertissement aseptisé. Le cirque, tel que Fellini l’a connu enfant, n’existe plus. Ne reste que son fantôme, capté dans un dernier tour de piste, un numéro à la fois burlesque et poignant qui relate l’enterrement du dernier clown.

Un langage visuel baroque et coloré

Visuellement, Les Clowns est un enchantement. Costumes chatoyants, maquillages outranciers, décors bigarrés : tout dans l’image évoque la surabondance du monde circassien, sublimée par la caméra de Fellini et la photographie de Dario Di Palma. Le montage, vif et saccadé, mime les numéros de cirque, alternant entre le spectaculaire et l’intime.

La musique de Nino Rota, fidèle compagnon du cinéaste, vient accentuer cette atmosphère de fête mélancolique : fanfares enjouées, airs dissonants, valses tristes… une bande-son qui semble toujours sur le point de basculer dans le silence.

Un autoportrait déguisé du cinéaste

En se mettant en scène dans le rôle de l’enquêteur fasciné par les clowns, Fellini signe aussi un autoportrait en creux. Lui-même se vit comme un saltimbanque du cinéma, un illusionniste qui jongle avec les émotions, les images et les souvenirs. Le film devient alors une méditation sur son propre art : le cinéma comme cirque, le réalisateur comme clown triste, et le public comme spectateur émerveillé mais éphémère.

Trop souvent oublié dans la filmographie fellinienne, coincé entre Satyricon (1969) et Fellini Roma (1972), Les Clowns mérite d’être redécouvert, d’autant plus aujourd’hui, à l’heure où le cirque traditionnel lutte pour survivre face aux transformations du spectacle vivant. Fellini nous rappelle que derrière les rires forcés et les pirouettes se cache une vérité essentielle : le clown, c’est l’homme mis à nu, prêt à faire rire pour ne pas pleurer.

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Delphine Neimon

Posted by Delphine Neimon

Fondatrice, directrice, rédactrice en chef et rédactrice sur le webmagazine The ARTchemists, Delphine Neimon est par ailleurs rédactrice professionnelle, consultante et formatrice en communication. Son dada : créer des blogs professionnels. Sur The ARTchemists, outre l'administratif et la gestion du quotidien, elle s'occupe de politique, de société, de théâtre.

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