Becoming Elizabeth : mode d’emploi pour future souveraine ou comment apprendre à survivre avant de régner

The ARTchemists Becoming Elizabeth

Une fois qu’on a bouclé Les Tudors, on se sent un peu seuls, faut bien le reconnaître. Et on se dit surtout : et après ? Et après ????? On déboule rapido sur le premier épisode de l’excellent Becoming Elizabeth.

Deux concurrentes potentielles

Becoming Elizabeth débute sur le cercueil d’Henry VIII qu’on embarque sous une pluie nocturne et grasse pour sa dernière demeure. Dans le même temps, course contre la montre pour récupérer son fils et héritier, le frêle et très jeune Edward VI (Oliver Zetterström) afin de le faire couronner fissa, avant qu’un potentiel complot ne vienne placer quelqu’un d’autre sur le trône (sport favori des nobles anglais depuis la guerre des Roses, lisez Richard III de Shakespeare, c’est très bien expliqué et en plus c’est juste génial).

Bref, pour éviter une éventuelle guerre de succession (et de perdre le pouvoir sur lequel il a la main en tant de Lord protecteur), Somerset (John Heffernan), oncle du gamin, met les bouchées doubles, s’assurant au passage des deux sœurs aînées du roi, Mary Tudor (Romola Garai), fille de Catherine d’Aragon, et Elizabeth, rejetonne d’Ann Boleyn. Deux concurrentes potentielles, qui sont passées du statut de princesse officielle à celui de bâtarde et vice versa au gré des lubies du défunt monarque dont les colères, la brutalité et les revirements étaient légendaires.

Une jolie rouquine de 14 ans

C’est justement sur Elizabeth (Alicia von Rittberg) que nos yeux se posent, jolie rouquine, intelligente et cultivée, une petiote de 14 ans mimi comme tout, qui se retrouve en garde chez sa belle-mère, Catherine Parr (Catherine Parr), veuve d’Henry VIII et nouvellement mariée à Thomas Seymour (Tom Cullen), frère de Somerset et son amoureux de longue date (qui a dû céder le champ au souverain, on ne l’ouvre pas quand Henry VIII décide d’épouser une nana, surtout la sienne, on dit oui et on s’écrase, sinon c’est l’échafaud). Bon à ce stade, vous êtes paumé.e, et vous n’êtes pas seul.e. Elizabeth la première est un brin perdue dans la frénésie de ce nouveau règne qui s’annonce incertain.

Et c’est là que le titre de la série showrunnée par Anya Reiss prend tout son sens. Ce que personne ne sait à ce moment, excepté nous spectateurs qui connaissons un peu l’Histoire/histoire, et avons lu le texte précédant le générique de fin des Tudors, c’est qu’Elizabeth est appelée à régner, à régner longtemps et avec brio, inaugurant ce qu’on appellera par la suite l’Age d’Or élizabethain. Sauf que ça ne va pas se faire sur un claquement de doigts, bien au contraire. Pour tout dire, la gosse va en chier pour parvenir au trône. Et risquer sa vie plusieurs fois avant, à son corps défendant du reste.

Exploser le mythe de Gloriana

Ce qui va forger à la fois son caractère, mais aussi son sens critique, son instinct politique, sa rigueur, son sens des priorités. Avec un Thomas Seymour beau gosse, séducteur, querelleur et ambitieux qui lui tourne autour, la pauvre petite va avoir du mal à se protéger. Clairement, la série fait exploser le mythe de Gloriana, la Reine Vierge mariée à l’Angleterre. Pour survivre, pour sortir de cette image de fille de la Grande Putain, pour échapper aux mariages forcés, aux séducteurs/violeurs, pour qu’on ne se serve plus d’elle comme d’un pion sur l’échiquier du pouvoir, Elizabeth va devoir ruser. Quitte à trahir.

Son amour. Son frère. Sa sœur. Sa belle-mère. La petite Jane Grey (Bella Ramsey) qui est sa camarade de jeu mais qu’elle va rudoyer verbalement et sans pitié. Mentir ou dire les choses. Cacher ses sentiments. Observer en retrait. Apprendre dans le silence. Parler au bon moment et avec les bons mots pour faire ployer l’interlocuteur. Psychologie, connaissance de l’âme et des perversions humaines : la leçon sera rude mais nécessaire pour cette future souveraine qui apprend sur le tas, en composant avec son statut de femme considérée comme inférieure dans un univers patriarcal sans aucune pitié.

Une fratrie déchirée

Abordé avec beaucoup de finesse, cette initiation politique se double d’une douloureuse prise de conscience : cette fratrie est déchirée entre amour fraternel intense et rivalité de pouvoir. Edward, trop jeune pour régner, écrasé par la figure paternelle de ce roi tout puissant, qui essaye de l’imiter, qui fait tout de travers, ado colérique et instable, fragile, complètement perdu ; Mary l’aînée, enkystée dans sa foi catholique jusqu’au fanatisme pour porter le souvenir de sa mère défunte, soumise à la discrimination la plus abjecte, paranoïaque à juste titre quand on considère tout ce qu’elle a subi. Elizabeth est entre eux deux, tout aussi abîmée, considérée comme une traînée, portant la faute de sa mère suppliciée alors qu’elle aussi est une victime du système.

Tous trois sont touchants dans leurs échanges, cherchant à se protéger comme ils le peuvent les uns les autres, se mettant en péril malgré leur bonne volonté, leur désir de bien faire en fonction de leur foi. Car l’élément religieux est ici crucial. Mary, élevée dans la foi catholique, veut ramener l’Angleterre anglicane dans le giron de l’Église ; Edward, protestant, veut qu’on aille plus loin dans la conversion de son pays. Et l’affrontement de surgir à tout moment, au détour d’une conversation. Même quand Edward tombe gravement malade, que ses sœurs s’épuisent à le soigner, à le veiller avec un amour sincère.

C’est là l’intérêt de la série que de mettre en avant le caractère humain de cette tragédie à l’oeuvre. Ces enfants vont pâtir des décisions d’adultes obsédés par la prise du pouvoir et prêts à tout pour y parvenir, y compris sacrifier des mômes innocents et qui n’ont rien demandé. L’idée affleurait dans Les Tudors, ici elle nous saute au visage et cela n’a rien d’agréable. D’autant que la série ne connaîtra pas de second volet, ce qui est franchement regrettable car elle était cohérente, originale et d’excellente qualité, explorant une période peu connue mais essentielle de l’Histoire.

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Padme Purple

Posted by Padme Purple

Padmé Purple est LA rédactrice spécialisée musique et subcultures du webmagazine The ARTchemists. Punk revendiquée, elle s'occupe des playlists, du repérage des artistes, des festivals, des concerts. C'est aussi la première à monter au créneau quand il s'agit de gueuler !