Épreuves du bac et autres partiels obligent, The ARTchemists contribuent à l’effort de guerre révisionnel en revenant sur ce fleuron du théâtre français qu’est Le jeu de l’Amour et du hasard signé en 1730 de la main experte du fringant Marivaux.
Silvia la féministe ?
Histoire : Silvia est une jeune fille noble, en âge de se marier, et dotée d’un caractère affirmé largement encouragé par l’éducation laxiste d’un père progressiste comme le XVIIIᵉ siècle dit des Lumières ( Flo, un ancien élève, aurait dit en son temps des Ampoules – par pitié ne le répétez pas à l’examinateur, soyez intelligents) en a fourni quelques-uns.
Or la demoiselle ne voit pas d’un très bon œil l’arrivée imminente d’un prétendant, digne rejeton d’un ami de son paternel qui envisage d’unir ainsi les deux fortunes (bah oui, faut savoir rester pratique et joindre l’utile et l’agréable). La très féministe Silvia conçoit mal d’épouser un inconnu dont elle ne découvrira la véritable nature que trop tard, une fois l’anneau nuptial au doigt (et pas de divorce à la clé, nous sommes au siècle des Lumières/Ampoules certes, mais faut pas charrier non plus, non mais dis donc !).
Changement d’identité ?
Désireuse d’échapper au sort pendable réservé à ses multiples copines et connaissances, noter donzelle décide de changer d’identité avec sa servante, Lisette, au verbe rude, pleine de sens pratique et somme toute assez simpliste sur la question du mariage. Aussitôt dit, aussitôt fait, les deux larronnes échangent leurs costumes, avec l’aval du papa, informé de la décision. Sauf que… (dans ces histoires il y a toujours un sauf que …) :
- on ne s’improvise pas soubrette ou aristocrate en changeant de jupons, eh oui « l’habit ne fait pas le moine » ni la domestique ; Silvia n’a aucune notion de ce que laver un sol implique, quant à Lisette, elle n’a aucune grâce, aucune éducation.
- le fameux prétendant est dans le même état d’esprit que la jolie demoiselle et lui aussi a changé de costume avec son valet.
- le papa de la demoiselle est au courant des quatre changements d’identité… et laisse faire, confiant dans la nature humaine.
Esclaves de l’amour ?
Le tout donne une excellente comédie, savoureuse d’intelligence et de raffinement, où les gags, les bons mots s’emmêlent sans discontinuer (et qui en a inspiré plus d’un en mise en scène). Mais pas que … Marivaux plonge ici profond dans ce qui détermine les attirances par-delà les masques sociaux. Silvia refuse le nobliau arrogant et grossier qu’on veut lui proposer comme mari, mais comment explique-t-elle cette attirance pour le valet discret, racé, fin et respectueux dont elle s’éprend sans même s’en rendre compte ? Et ses trois camarades de jeu se retrouvent également pris au piège de l’amour malgré soi. Avec à la clé la grande problématique : lequel enlèvera son masque le premier, rendant les armes, baissant la garde devant l’autre, devenant ainsi esclave de l’amour ?
C’est à ce moment de prise de conscience du sentiment amoureux que le combat des sentiments s’engage. À ce jeu, Silvia sera la plus forte, … ou pas. Peut-on pénétrer le véritable visage, la nature profonde des êtres ? L’amour est-il histoire de regard, de cœur, de magnétisme, de séduction ? Est-ce l’autre que nous aimons ou l’image que nous en avons ? Tout cela n’est-il finalement qu’une illusion que le temps se chargera d’effacer, en bien ou en mal, pour le meilleur ou pour le pire ? Et est-il bien utile de tester des sentiments, des relations qui de toute façon, évolueront d’eux-mêmes, parce qu’ils sont le fruit de deux personnes qui se rencontrent, se côtoient, se quittent et se retrouvent ?
De la séduction à l’amour ?
C’est un peu prise de tête, je vous l’accorde, et Dorante comme Silvia se compliquent la vie, à l’inverse de leurs domestiques qui prennent les choses comme elles viennent. Mais au bout du compte et en toute honnêteté, ne vivons-nous pas ce dilemme à chaque rencontre ? Qui d’entre nous ne s’est pas interrogé sur ce que l’être aimé veut vraiment ? Pas évident de répondre sachant qu’en plus, quand on demande, l’interlocuteur reste vague, ou ghoste carrément. Bref pas fiable. On comprend mieux les réticences de Silvia et de Dorante.
On trouve à peu près le même genre de jeu dans l’opéra de Mozart Cosi Fan Tutte : le compositeur pousse le vice jusqu’à amener deux amis à interchanger leurs compagnes (deux sœurs au passage) pour tester la fidélité de ces dames. Un jeu dangereux puisque chacun va trouver sa chacune … mais pas là où il le pense. Nos auteurs du XVIIIᵉ siècle n’ont décidément pas leur pareil pour questionner le glissement de la séduction à l’amour, nous mettant en garde contre les déboires d’un jeu labyrinthique dont ils vantent par ailleurs les multiples délices. Et on les comprendrait presque : car quoi de plus ennuyeux que la platitude béate d’un amour sans faille ?
Et plus si affinités ?
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