Turandot : voici bien le type d’opéra qui sied aux dimensions épiques des grands amphithéâtres, Orange en tête. Du grand, du gros, du lourd, des chœurs, des figurants, des morceaux de bravoure … à croire que Puccini a composé l’histoire de sa sanglante princesse spécialement pour les espaces titanesques.
Histoire d’une princesse farouchement célibataire
Fille de l’empereur de Chine, la sublime Turandot refuse farouchement de se marier. Pour échapper aux affres de la nuit de noces, elle a mis en place un système redoutable : une énigme qui conduit à la mort ceux qui ne peuvent y répondre. Et jusqu’à présent, personne n’a répondu. Tandis qu’on mène à l’échafaud un énième malheureux candidat, Calaf, prince déchu, décide de braver le sort… et répond à l’énigme. Mais devant le dégoût de Turandot, il pose lui-même une énigme ; si la princesse y répond, il mourra. Turandot va alors tout faire pour obtenir cette réponse, y compris commettre l’irréparable.
Les Chorégies d’Orange ont plusieurs fois rendu honneur à cet opéra :1979, 1983, 1997, les trois actes du chef-d’œuvre de Puccini y ont toujours été restitués avec des distributions et des mises en scène coup de poing. La représentation du mardi 31 juillet 2012 n’a en rien démenti la tradition. Car pour mettre en action l’histoire inspirée par le dramaturge Gozzi, contemporain de Carlo Goldoni et l’un de ses concurrents, les organisateurs des Chorégies ont frappé fort, avec plusieurs atouts imparables.
Du spectaculaire à l’intime
La mise en scène tout d’abord, toujours un challenge à Orange, car il faut pouvoir positionner figurants et solistes sur le plateau qui est vaste. Si l’acoustique y est impeccable, la gestion des troupes y est beaucoup plus délicate. En l’état, le metteur en scène Charles Roubaud a sorti son épingle du jeu avec brio. L’affrontement de Turandot et de son prétendent Calaf passe sans entrave de la confrontation publique à la déclaration intime, soulignant la découverte du sentiment amoureux par la frigide princesse.
Un plus notoire pour la symbolique : la cape où Turandot apparaît enfermée, comme piégée dans ses frustrations et ses névroses (n’oublions pas que le personnage a largement inspiré le syndrome du vagin denté, commenté par nombre de psychiatres). Cette cape noire, Calaf va l’arracher au moment d’embrasser la belle qui se retrouve alors enrobée d’une soyeuse robe blanche pure et virginale.
Stylisation esthétique
Des décors et des costumes justement qui sont beaux, tout en étant très stylisés.
- Le travail du scénographe Dominique Lebourges, secondé de l’ingénieur lumières Avi Yona Bueno a permis d’animer l’ensemble du théâtre en restituant les dimensions de la cité impériale sans nous noyer dans les dorures et les flonflons. On apprécie le jeu des projections, notamment les dragons triomphants qui déroulent leurs anneaux sur les dernières mesures de l’opéra.
- Quant aux costumes de Katia Duflot, ils sont à la fois dépouillés, sobres et de très belle facture, jouant sur le noir, le blanc, le gris. Ainsi Turandot, vêtue de ténèbres comme une veuve noire, singularisée par un lourd pectoral qui l’étouffe dans sa pâleur de poupée impériale.
Une distribution marquante
Hors de question de monter ce type de machine avec des voix médiocres. Il faut du coffre pour tenir les rôles principaux et porter les vocalises dans un espace aussi grand, réputé des mélomanes pour sa grande qualité sonore. En l’occurrence, les prestations de Maria Luigia Borsi en Liu et surtout de Lise Lindstrom en Turandot furent d’une très grande qualité.
Saluons la présence de la cantatrice qui prenait la difficile succession de légendes comme Callas, Sutherland ou Dimitrova qui marquèrent le rôle. Avec son timbre acidulé et frémissant, sa silhouette mince et nerveuse, Lindstrom sut incarner l’hystérie de la princesse, avec néanmoins cette pointe d’humanité qui l’illuminera finalement.
La prise de rôle de Roberto Alagna
C’était là le vrai défi de cette distribution : Roberto Alagna est une figure emblématique, un ténor touche à tout qui a su conquérir le cœur d’un large public en dehors des rangs d’aficionados. Sa prise de rôle pour Calaf fut néanmoins difficile, car il était souffrant, or cela ne pardonna pas avec le grand air « Nessun dorma » ; dommage car il faut vraiment du courage pour reprendre le flambeau après des monstres sacrés comme Alfredo Kraus ou Pavarotti qui incarnèrent Calaf comme personne.
Disons-le clairement, Alagna ne sera jamais à mon sens un grand Calaf, mais il a un mérite que personne ne peut lui retirer : s’attaquer à ce rôle avec en perspective le fait de le faire découvrir par-delà les habitués. De même toute la distribution et sa retransmission sur une chaine nationale et publique. À l’heure où la culture s’enclave de plus en plus, cela n’a pas de prix et doit être souligné et salué.
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