Pour ceux qui suivent nos péripéties d’ARTchemists, les Turn Steak ne sont pas des inconnus. Il existe même de sérieuses affinités entre eux et nous et pour cause : Dam’s et FX incarnent tout spécifiquement ces étincelles que nous pourchassons au quotidien, inlassables et avides que nous sommes de saisir ce mystère de la création qui nous anime tous, et eux en particulier.
Petit rappel chrono pour vous situer les choses :
– la rencontre se fait en décembre 2010 dans le sous sol du Buzz de Belleville où je découvre ces messieurs, leur goût pour le roulage de serviettes papier, leur incroyable énergie aux platines et une technique qui en ferait pâlir de jalousie plus d’un ;
– je retrouve les deux picards quelques mois plus au Printemps de Bourges où ils sont adoubés Découvertes Electro 2011. Reconnaissance de la profession et coup d’accélérateur qu’ils négocient avec une fraîcheur gracieuse, mutine et foudroyante ;
– on se recroise le 1er octobre 2011 à Marsatac où leur live me sidère proprement : les choses ont changé, leur mix se colle désormais aux pulsations visuelles générées en rythme par Julien Appert, leur VJ’s et le duo s’est complété d’un écran aux arêtes tranchantes sur lequel défilent des images à la limite du subliminal, mutations de nervures végétales en cellules cérébrales, mosaïque pointilliste qui hypnotise proprement, entre tableau acoustique et palette musicale.
– Et nous voici arrivés en ce beau 17 février où les loulous viennent de lâcher le fringant EP Drifting Away qui vient complexifier le vitrail synesthésique que j’avais vu forger en live cinq mois plus tôt. Claque et reclaque, annoncée par la série de remix d’Engrenage, morceau phare appuyé par une vidéo signée Lico, dont les images dark, montées en séquences courtes et saccadées multiplient les Vanités, les visages distordus, les sensations de déséquilibre dans une ambiance électro goth dont les Turn ne sont pourtant pas coutumiers.
Autant le dire, là on monte de division. Si Bourges est souvent une case départ pour une carrière internationale, rarement ce passage obligé ne génère pareille modification stylistique. Là où la plupart des groupes continuent pépère sur leur lancée, les Turn s’offrent le luxe de passer la vitesse supérieure en jouant aux touche à tout avec une maestria rare, axant leur travail sur l’exploration du sensoriel sollicité de toute part, majorée d’une forte pratique du glitch.
Le glitch : la notion revient en première ligne dans leur com’. A la base un bug informatique, devenu technique puis genre musical prisé par pas mal de producteurs qui s’amusent à distendre les sons comme des élastiques pour les concasser, les écarter, les éclater même. Et nos duettistes excellent en la matière comme ils nous l’ont expliqué : « Nous utilisons ces défauts et effets sonores que nous éditons et mélangeons dans nos compositions, c’est pourquoi on peut dire que notre style est glitch. Mais nous sommes également proches et influencé par d’autres courants de la BASS MUSIC en général ». De là à faire de Drifting away un laboratoire pour expérimentation en glitchitude, il n’y avait qu’un pas.
Pas de problèmes, les deux picards se lancent et nous offrent une déferlante en 6 tracks, dont chacun semble recalculer la rythmique du précédent. Tous les morceaux ont une fluidité aquatique, un mouvement très dense de ressac. Sur certaines phrases, la mélodie s’étouffe soudain ; sensation de plongeon : le splash de l’impact, les sons atténués, le mouvement freiné brutalement par l’eau. Une impression souvent oppressante, entre ombre et lumière, celle d’un foetus cloîtré dans la matrice qui perçoit tous les bruits en déformé par le liquide amniotique traversé des pulsations cardiaques stressées de la mère. Une musique calquée sur le surf aussi … sensation de la planche sur l’eau, le rouleau qui défile quand on le pénètre, la luminosité diffuse du soleil qui se reflète sur la vague… et un requin à ses trousses.
http://soundcloud.com/turnsteak/sets/drifting-away-ep/
Un flash intégral pour « Young Smoothie » et « Riding of death », notamment sur la deuxième partie du morceau, très reptilienne, orientalisante, « Kids want to fuck » et « Engrenage » à la simplicité plus posée face aux méandres souvent alambiquées de « Drifting away » ou « Earth Crush ». De manière générale, la musique a pris de l’étoffe, on n’est plus dans l’exercice de style, le challenge de DJ qui se la jouent devant leurs platines (si tant est que les Turn Steak aient jamais agi de la sorte). Temps révolu : maintenant, ces messieurs travaillent les effets en profondeur. En gros s’ils étaient poètes, ils travailleraient sur assonances et allitérations.
« A la dérive » proclame l’EP sur fond d’animaux et de volutes entrelacés comme des brins d’ADN bleutés ? Loin de là : projet réfléchi, mûri depuis le storyboard initial où ils évoquaient montagnes russes, impression de haut le cœur et sucreries. Au finish un EP construit comme un kaléidoscope, un oxymore musical, une série de fractales. Et un projet hypnotique qu’il convenait d’autopsier, interview à l’appui avec en face de nous, les Turn Steak, mais également Julien et Lico.
Pour avoir une vision complète du tout : d’un côté les musiciens, de l’autre les vidéastes, et au milieu l’origine du projet, sa construction, l’impact de l’image, l’évolution du live et plein d’autres choses très intéressantes pour comprendre la gestation de cette étincelle artistique pas comme les autres.
Explications ???????
Reflet d’artiste / Turn Steak – Drifting away : les Turn steak en parlent !
Reflet d’artiste / Turn Steak – Drifting away : Julien Appert revient sur les vidéos du live.
Reflet d’artiste / Turn Steak – Drifting away : Lico nous parle de la video “Engrenage”.
Rédaction : Delphine Neimon
Analyse musicale : Delphine Neimon / Quentin Delzanni
Mise en place de l’interview : Delphine Neimon / Elliot Emery
Merci aux Turn Steak, à Julien Appert, Lico pour leur temps, leurs réponses.
Merci également à Benoît Joubert de Aimez-vous Brahms ? pour ses explications.
Et plus si affinités
De prime abord / Turnsteak : les duettistes !
Printemps de Bourges 2011 Part 16 : Turnsteak, autopsie d’un live en Découverte
Marsatac 2011 / Les dessous d’une émeute musicale : la question de l’espace