La mise en regard est osée : placer les sculptures mastodontes de l’artiste lisboète dans le périmètre royal fait partie de ces paris esthétiques que le château met à son programme depuis maintenant quelques années, à la consternation des puristes.
Chantre du détournement de matières et de techniques au service d’œuvres gigantesques et oniriques, la plasticienne a pour l’occasion relevé le défi du tout baroque en s’inspirant de l’art lyrique et des excès des opéras du XVIIème siècle. Les œuvres qu’elle a conçues pour cette exposition spécifique jalonnent ainsi le parcours suivi par les visiteurs au travers des appartements royaux et des jardins.
Fer forgé en zelige de la théière, volutes plastifiées des cœurs noir et rouge, panneau vitrail, les œuvres exposées claquent de couleurs et de matières, en des endroits stratégiques comme les antichambres de la galerie des glaces, ou la galerie des Batailles, la chambre de la reine : une rencontre organisée donc entre deux démesures séparées de plusieurs siècles mais au final pas si éloignées l’une de l’autre.
En effet, en exploitant les techniques de la perruque, du crochet, de la dentelle, de la broderie, Joana Vasconcelos revient sur le faste vestimentaire et la grande industrie du luxe qui fera l’éclat des manufactures françaises. Si nous avons peu accroché sur le Dauphin et la Dauphine, homards en dentelles, ou Les Gardes, lions enserrés dans des filets de napperons, nous sommes tombées en arrêt devant plusieurs installations particulièrement heureuses :
- les chaussures en casseroles et couvercles de Marilyn qui propulsent le monde de la cuisine dans l’univers des puissants puisque placées à la sortie de la Galerie des Glaces, destinée aux réceptions royales ; on aime le détournement d’objets et le challenge de conception, ainsi que la réflexion sur le statut de la femme coincée entre séduction et travaux ménagers ou une nouvelle version de la pantoufle de Cendrillon ;
- le Lilicopthère qui envahit de ses plumes la salle 1830, serti qu’il est de feuilles d’or et de strass Swaroski pour un décollage improbable vers des plaisirs futiles et éphémères ; une synthèse visuelle époustouflante de la vacuité d’un pouvoir tombé dans la poussière et la nonchalance, les affres de la décadence ;
- Les Walkyries, 4 énormes créatures tentaculaires, que Lovecraft n’aurait pas reniées, nonobstant les centaines de mètres de tissus/tricots/dentelles/broderies/perles qui en composent les membres pendants. Impressionnant car d’une grande précision. Il a surement fallu nombre de techniciennes pour finaliser ces entités rattachées au monde wagnérien.
Impressionnant … et étouffant. Positionnées qui dans l’escalier Gabriel en guise de lustre, qui dans la galerie des Batailles déjà très ornementée de stucs et d’ors, ces volumes absurdes écrasent, asphyxient comme des mères trop aimantes, des divinités castratrices. L’œil déjà très sollicité par le foisonnement de détails qui rehaussent le décor se perd automatiquement dans les méandres des sculptures et l’on se retire avec une sensation de manque, de rencontre inaboutie.
La question se pose alors de ces rencontres entre lieu chargé d’Histoire et œuvres chargées de sens. Si le Lilicopthère trouve parfaitement sa place dans l’espace étroit d’un salon, les walkyries ne seraient-elles pas plus à l’aise sous les voûtes d’une cathédrale romane juste vêtue de lumière ou le dépouillement sévère d’une construction industrielle classée ? Une question d’autant plus pertinente que ces œuvres ont été inspirées par l’esprit versaillais et créées pour y trouver leur place.
Et plus si affinités