Anecdote : il y a quelques années, Spotify balance parmi ses nouveautés la BO de Battlefield 3. Une BO de jeu vidéo, ça ressemble à quoi ? Casque sur les oreilles, je me plonge dans la déclinaison musicale du dernier jeu d’Electronic Arts, 19 morceaux signés par les compositeurs suédois Johan Skugge et Jukka Rintamaki. Électronique en diable, dark, froid, synthétique, sombre, … une musique de film ? Ou un paysage sonore, une atmosphère ? Je demande à Jérémy, gamer en titre et alors consultant The ARTchemists pour ce domaine, ce qu’il en pense et là bim. Claque.
«On n’a pas le droit de juger des musiques créées pour des jeux si on n’y a pas joué. Les musiques sont sorties de leur contexte, et ça nique tout ce que le créateur a voulu faire passer à travers». OK ça c’est dit. Et je fais quoi, moi ? J’arrête mon taff et je pars biner des betteraves en Corrèze ? Ou je demande à Jérémy de m’en dire plus ? Selon vous ? Cochons la deuxième option et laissons la parole à Jérem qui va la monopoliser longtemps, me déroulant sa démonstration comme un master Jedi s’adresserait à un aspirant Padawan 1ʳᵉ année de maternelle, me citant en référence Final Fantasy 7.
Pourquoi un non gamer ne peut-il juger de la musique d’un jeu vidéo, selon toi ?
« À travers tout le jeu, tu découvres le monde, le scénario, la musique, les graphismes. Lorsque tu joues RÉELLEMENT à un jeu vidéo, tu t’attaches aux personnages. À l’histoire de leur « vie ». Maintenant, je prends l’exemple du CD3, lorsque Aerith, un des personnages centraux les plus attachants de Final Fantasy 7, meurt : la musique devient extrêmement importante. Et tu pourras le demander à chaque personne qui aime FF7, tu lui fais écouter la musique qui passe lorsque Aerith meurt, fais-moi confiance, il ne restera pas de marbre. À chaque fois que je l’écoute, j’ai moi-même les larmes aux yeux.
Si tu écoutes un album de jeu vidéo, il n’y a que ton « jugement » sur la musique qui jouera. Si tu aimes le rap et que c’est du rock, ça va te paraître banal, etc. Alors que si tu as joué au jeu, si tu t’es attaché aux personnages, à leur histoire, à ce qui s’est passé dans le jeu, dès que tu entendras une musique, tu penseras aux graphismes, aux moments forts soulignés par cette musique, ça va faire remonter des sentiments en toi, pas du jugement. Ce que tu vas « juger » si je peux dire, ce sera le travail qu’ont fait les musiciens pour retranscrire les moments forts du jeu dans la musique.
Quels sont les ressorts d’une BO de bonne qualité ?
En prenant toujours l’exemple de la mort de Aerith, tu ne peux pas faire une musique qui envoie du son, il faut quelque chose de triste, de mélancolique. Un mec qui écoutera ça sans avoir joué n’aura PAS DU TOUT les mêmes impressions au fond de lui que ceux qui y ont joué. Et je cite Final Fantasy pour des raisons bien précises. C’est un peu comme les pubs en fait. Quand tu as une musique toute bête qui passe derrière, tu ne la retiens pas, tout ce que tu as envie de faire, c’est de changer de chaîne. Alors que lorsque la musique accroche, qu’elle est bien choisie, tu ne t’ennuies pas. C’est la même chose avec les jeux vidéo.
Quand tu joues avec en fond sonore des musiques monotones, qui ne collent pas à l’ambiance, tu t’ennuies, et le jeu ne te marque pas. Si la musique colle bien, ça va te rester dans le crane, tu pourras arrêter de jouer cinq ans puis réécouter un extrait de la musique, ça va te revenir tout de suite. Tu vas repenser à certains moments. Ça fait appel à la mémoire et aux sentiments, ça te titillera le cœur et l’estomac pour te faire ressentir certaines choses. Alors qu’une musique de jeu qui n’est pas forcément bien placée ne fera appel uniquement qu’à ta mémoire.
Mais encore ? Peut-on apprécier une musique qui ne correspond pas forcément aux genres qu’on aime habituellement ? Est-ce que cela ne va pas gêner l’expérience ?
Petite expérience justement. Tu as un casque quelque part ? Bon. Écoute ça. C’est la musique qui correspond à la mort d’Aerith. Mets le son relativement fort pour pouvoir être envahie par les sentiments que le compositeur Nobuo Uematsu a voulu faire passer. Ferme les yeux et déguste jusqu’à la dernière note. Ce n’est pas ta tasse de thé ? C’est justement ce que je voulais te faire comprendre. Moi non plus. Et pourtant, quand je l’écoute, j’en ai presque les larmes aux yeux. Cette musique passe à un moment relativement fort dans le jeu. Si tu avais joué au jeu, que ce soit ton style ou pas, ce ne serait pas ton jugement vis-à-vis de la musique qui jouerait, mais tes sentiments.
Tout ça pour te faire comprendre que les musiques de jeux-vidéos, si elles sont bien travaillées, peuvent rapprocher toutes les cultures dans la musique. Les punk, les gothiques, les rappeurs. Tout le monde a un cœur. On a tous ça en commun. Alors fais-en jouer certains à un jeu bien précis, qu’ils se concentrent et s’intéressent à l’histoire, au jeu, et ils seront tous liés par cet indescriptible sentiment qui passe dans le coeur en écoutant les musiques. Après, tu as les jeux qui utilisent des musiques populaires pour gagner en popularité sur le jeu directement. Et tu en as d’autres qui préfèrent une nouvelle bouffée d’air, même si c’est un peu plus casse-gueule qu’en utilisant des musiques déjà commercialisées.
Bon là je m’étends pas sur ce sujet, puisque ça dépend de l’argent des sociétés et de pas mal de critères bien précis. Bref j’ai fini mon speech ».
Et moi de prendre ma leçon.