Un peu d’air – La Roulette Rustre : le souffle du changement ?

Qu’est-ce qui fait l’essence d’une création artistique ? Le thème qu’elle traite ? L’histoire qu’elle raconte ? Le message qu’elle transmet ? Les talents qu’elle mobilise ? Les énergies qu’elle galvanise ? Les doutes qu’elle suscite ? Le public qu’elle interpelle ?

Une mystérieuse et fragile alchimie équilibrant tous ces éléments en une improbable équation, serait-on tenté de penser. Fragile au point d’imploser à tout moment, au moindre frémissement. C’est si dur de créer, d’accoucher d’une idée pour lui donner forme concrète, … Il y faut une volonté tenace, presque farouche, … une foi absolue ?

Dans le cas de La Roulette Rustre, on pourrait presque parler de grâce. Nous suivons ce groupe depuis octobre 2010 maintenant. Découvert au MaMA 2010, existant depuis maintenant presque une décennie, le groupe nous a plu par sa simplicité, la force de ses textes, l’atmosphère qu’il dégage, la réflexion qu’il enclenche. Nous en avions parlé dans un autre média, les suivant sur un de leur concert.

Depuis ce moment, nous gardions sur eux et leur prometteuse musique une oreille vigilante, largement stimulée par la perspective du nouvel album Un peu d’air. Album dont nous annoncions le concert de soutien le 27 juin 2011 en ces termes plutôt alarmistes : « L’album n’a pas encore vu le jour auprès du public, mais le concert que les Rustres donneront le vendredi 15 juillet à Evres en distillera un avant-goût d’autant plus poignant et amer que ce projet est menacé d’avorter par manque de fonds ».

Le concert du 15 juillet fut un plein succès doublé d’un plébiscite en forme d’appui média et financier. Un fait rare dans le milieu musical où l’on aurait tendance à tourner le dos aux groupes et structures en détresse. En la circonstance, le soutien fut immédiat : places vendues, mécènes présents, … le projet Un peu d’air verra le jour, autant grâce à l’intérêt de professionnels du secteur qu’à la présence d’un public fidèle. Vous vous demandez, j’en suis sûre ce qui a pu éveiller pareil attirance ? Il suffit de visionner cette vidéo pour le comprendre. Il s’agit là de l’enregistrement du morceau « Philosophe » :

Il aurait été dommage d’assister à l’avortement sans rien faire, n’est-ce pas ? Car à l’image de ce morceau qui entrelace rap, poésie, rock, musique classique et lyrique, Un peu d’air éclate de loin les limites d’un simple LP comme on en voit fleurir très régulièrement dans les bacs. Arrivés à un tournant de leur carrière après ces années d’expériences accumulées de salles de concert en studio de prod, les Rustres ont conçu leur nouvel opus comme une passerelle et une mutation vers d’autres horizons artistiques. Fidèles à leurs racines, ils conservent leur principe : musique poignante, instrumentalisation virtuose, mélodie intimiste, paroles profondes, influences multiples, réflexion sociale … des humanistes donc encore et toujours … avec des variantes de poids :

Un peu d’air traite de l’isolement et de la manière de le rompre, un thème cher au groupe qui l’a vécu de l’intérieur en travaillant sa carrière durant avec des publics difficiles et isolés à l’extrême qu’il s’agisse de l’isolement du handicap, ou de l’enfermement carcéral. Sauf que cette fois-ci il fait la cohérence de tout l’album, son fil directeur, et le point de départ d’une réflexion plus profonde sur la décomposition progressive de notre monde.

– Cette réflexion philosophique et humaine se décline sur le mode du conte, un conte musical dont les chansons composent les chapitres aux titres évocateurs : « Vivant » « Philosophe » « You will go » … Une cohérence qui appuie le propos du projet et lui donne plus de sens encore pour le raccorder de plein pied avec l’esprit de créations comme Candide de Voltaire (dont il s’inspire en partie), les utopies du XVIème siècle ou les opéras rock Tommy ou Pink Floyd – The wall.

– Apologue musical, Un peu d’air mobilise d’autres supports qui se relaient en pleine complétude pour faire caisse de résonance au propos initial : concert, vidéos, livre, site web, … au centre le personnage de Berderol, dont on distingue le visage sur l’affiche. Un héros qui cristallise tous les tracas et les mutismes de l’isolement et dont les contours papier se doublent d’une version marionnette, présente sur les vidéos et le concert, conçu comme une représentation théâtrale avec décors et mise en espace.

– Le dispositif entier a mobilisé des talents venus de tous les horizons géographiques et stylistes : en plus des musiciens du groupe auquel est venu s’adjoindre un nouveau membre, nous comptons dans les rangs de l’équipe un rappeur musulman du Burkina Faso, une cantatrice d’opéra chantant de la musique yiddish, un percussionniste qui expérimente sur des bacs à fleurs, sans compter des dingues de théâtre de marionnettes, des scénographes, une dessinatrice qui peint avec du café …

– S’ouvrant à l’anglais et aux influences plus rock, La Roulette Rustre a aussi repensé tout son système de diffusion/vente. Clé USB complétant le CD traditionnel dans un désir de démultiplier les supports, plate-forme de téléchargement, implication du public dans le processus de financement, site web étudié, … tout a été conçu pour permettre au projet d’évoluer sans lui mettre aucun frein ; ainsi Un peu d’air est parti pour durer en se métamorphosant régulièrement avec l’aide des auditeurs/spectateurs invités à apporter leur pierre à l’édifice de la chanson participative.

Vous l’aurez compris, je pense, Un peu d’air n’est vraiment pas un projet commun. Il sort résolument des sentiers battus de la prod actuelle pour offrir quelque chose de nouveau : une musique, un genre, une émotion, une éthique … et un combat. Nos Rustres humanistes seraient-ils devenus des artkivistes ? Vous le savez, nous aimons le terme, cousin de notre cher vocable ARTchemists dans les sonorités, l’esprit et la signification.Nous l’appliquions déjà à nos petits camarades du Polacast. Eh bien, il semblerait que les Rustres puissent désormais prétendre au titre, même si ils en usent avec une retenue évidente et dans un univers autre. Un point accrocheur de plus pour piquer notre curiosité et leur proposer de venir nous rejoindre, histoire que nous placions leur évolution sous la loupe de notre microscope.

A suivre donc dans nos colonnes au sein d’un nouveau labo culturel !

Et plus si affinités

http://www.larouletterustre.com/

http://www.facebook.com/group.php?gid=103617946188&ref=ts

http://www.culture.youvox.fr/Musique-stress-et-paillettes-Part,94.html

Delphine Neimon

Posted by Delphine Neimon

Fondatrice, directrice, rédactrice en chef et rédactrice sur le webmagazine The ARTchemists, Delphine Neimon est par ailleurs rédactrice professionnelle, consultante et formatrice en communication. Son dada : créer des blogs professionnels. Sur The ARTchemists, outre l'administratif et la gestion du quotidien, elle s'occupe de politique, de société, de théâtre.

Website: https://www.theartchemists.com